FUSION DES ACADÉMIES : L’ÉDUCATION NATIONALE AU DIAPASON DU DÉMANTÈLEMENT DE L’ETAT
Le reformatage de la forme administrative de l’Etat sous l’injonction de l’union européenne
Sous l’injonction de la commission de Bruxelles, tous les Etats membres sont sommés de modifier leur organisation administrative. La commission européenne avait ainsi publié le 2 juin 2014 une recommandation sur le programme de réformes de la France. Elle demandait de « simplifier les divers échelons administratifs en France, en vue d’éliminer les chevauchements de compétences, entre les administrations, de créer de nouvelles synergies, d’obtenir de nouveaux gains d’efficacité et de réaliser des économies supplémentaires en fusionnant ou en supprimant des échelons administratifs. » L’objectif est de faire émerger des régions suffisamment importantes pour négocier directement avec la Commission de Bruxelles. Récemment, elle a demandé les mêmes modifications à l’Ukraine et la Moldavie.
Parallèlement, l’union européenne cherche à constituer des métropoles, nouveau lieu de maximisation du capital. Les capitaux se concentrent là où le taux de profit sera le plus important.
Les régions peuvent plus facilement négocier des dossiers, percevoir des fonds qui tiennent toujours compte des conditions de l’Union européenne. Se perd ainsi la maitrise du développement de la France dont les fonctions de l’Etat s’amenuise. Cela affaiblit du même coup l’action des premiers responsables politiques… qu’ils ont eux-mêmes encouragés !
Le gouvernement français s’est donc exécuté sous Hollande et la loi Notre du 7 août 2015 diminuant le nombre de régions passant, en métropole, de 22 à 13, en est la résultante directe. Mais le processus n’était pas achevé et il manquait un pan essentiel de l’administration avec ses 30 académies, 97 inspections académiques et son million de salariés.
Comme le note le géographe Jean-Pierre Garnier, la métropolisation est le « stade suprême de l’urbanisation capitaliste ». Il ajoute : « Reste à savoir pourquoi ce « modèle métropolitain » fait l’unanimité parmi les « élites » locales, élues ou non. Tout simplement parce qu’elles doivent faire leur, elles aussi, le principe non écrit mais impératif qui régit désormais l’ensemble de la vie en société : la « concurrence libre et non faussée ». Celle-ci, qui oppose les entreprises, les États et les individus entre eux, met également les villes en rivalité. »
Il semble que les contributions polémiques du géographe Christophe Guilluy, à qui on doit la notion de la « France périphérique », celle qui est la laissée-pour-compte de la mondialisation, mais aussi les critiques « d’en bas » sur la raréfaction de la présence de service public, ait nécessité une forme de réponse pour prendre à contre-pied tous ceux qui seraient tentés de dénoncer la dévitalisation des départements et la concentration des emplois publics sur les grandes métropoles. Aussi, le ministre de l’éducation nationale, Blanquer, prend position pour le maintien d’un service public de proximité, pour un équilibrage entre les métropoles et les villes moyennes…
Les académies réorganisées : la question de l’emploi public
L’implantation des emplois devient un véritable problème pour les travailleurs dans cette dynamique de métropolisation puisque certaines villes peuvent compter 10, 20 ou 30% d’emplois publics sur leur bassin. Les couches supérieures et la classe dominante promeuvent la mobilité comme le nec plus ultra du comportement normal de tout un chacun. Ceci découle sans doute du caractère hors sol d’une partie de la bourgeoisie et de startupers que rien n’effraie. En réalité, en France hors métropoles, 60% des gens travaillent dans le département où ils sont nés. En intégrant les métropoles françaises, on atteint tout de même 52%. Nous sommes donc loin d’une société « liquide », dont les frontières s’émousseraient avec le temps et qui s’intégreraient paisiblement dans le concert européen et mondial. Les pratiques ne sont pas celles fantasmées dans les hautes sphères dirigeantes. On aime encore en France, pays de tradition rurale, vivre là où l’on a vécu dans son enfance. Appliqué au monde du travail, cela se traduit par la recherche d’un emploi jamais trop loin de sa famille. Cela a aussi quelque chose à voir avec les solidarités concrètes des familles et des réseaux d’amitiés.
Le gouvernement souhaitait initialement la concentration
des emplois sur les nouveaux chefs-lieux de régions
Initialement, l’objectif était de fermer des sites et de procéder à des mobilités géographiques forcées. Selon les chiffres gouvernementaux, 3000 fonctionnaires devaient être déplacés autoritairement avec la fermeture des sites ex chefs-lieux des anciennes régions. Mais sous la pression des personnels, des syndicats, des élus, le gouvernement a renoncé à ce projet. En contrepartie, il a accepté de maintenir des services dans des localités où des sites auraient dû fermer et a décidé que les services de l’Etat refondus dans le cadre des nouvelles régions prendraient la forme de services en multisites[1].
Mais le gouvernement maintenait le cap de la concentration des emplois dans les villes stratégiques. Au lieu de la méthode dure, il choisit la méthode douce en proposant une indemnité (Prime d’accompagnement de la réorganisation régionale de l’État) devant faciliter le transfert de personnels vers les sièges des nouvelles régions. Malheureusement pour les tenants de la concentration des emplois, très peu de salariés ont fait le choix de partir avec arme et bagage dans les nouveaux chefs-lieux de régions. Des crédits avaient pourtant été réservés pour 1000 mobilités mais c’est moins d’un tiers des crédits qui ont été utilisés.
Le gouvernement se retrouve donc avec des services isolés à travers la France qu’il n’a pas désiré et sa fameuse indemnité dont il a été question n’a pas eu le succès escompté. Or, les services multisites fonctionnent avec des difficultés multiples.
Une nouvelle organisation administrative en multisites
Si des services multisites ont pu exister auparavant, cela n’avait pas de caractère systémique. Il s’agit donc d’un choix gouvernemental, d’une orientation à caractère de masse tout à fait hors norme et la communication gouvernementale ne le cachait pas : « expérimenter de nouvelles méthodes de travail visant à répondre aux enjeux du fonctionnement en multisites et du travail à distance ». De quoi s’agit-il ? Là où il y avait donc deux services de l’Etat identiques dans deux régions fusionnées (DRAC, DREAL…), les deux services en question sont eux fusionnés en un seul service avec réorganisation interne. Le personnel est maintenu avec un chef unique et les sites se spécialisent par missions pour supprimer les « doublons ».
Mais ce type d’organisation soulève rapidement de nombreuses questions dont un rapport au Sénat a dénoncé une partie de la réalité : « S’agissant de l’impact de la mise en place des directions régionales multi-sites sur le quotidien des agents, ces derniers sont principalement préoccupés par trois sujets : le sur-investissement des cadres et leur fatigue liée aux déplacements, le manque d’informations des agents concernant leurs droits, et les tensions créées par la confrontation de pratiques professionnelles différentes. »[2] A cela il faut ajouter des dysfonctionnements : sous encadrement des sites distants (pas d’interlocuteurs immédiats pour accompagner les personnels dans leur quotidien) ou multiplication de cadres intermédiaires (alourdissant les procédures de décisions), absence de savoir-faire après le départ d’un certain nombre de salariés, problèmes de fluidité de l’information, fiches de postes imposées, risque d’intensification du travail, stress, absence d’unité dans le service (certains s’estimant plus important que l’autre ou les autres), carrière dépendante des sites éloignés dotés d’emplois supérieurs… Le rapport du Sénat conclut d’ailleurs que : « Entre l’éloignement des agents et le décalage entre les fonctionnements, les motifs d’inquiétude ne manquent pas pour les services de l’État, dont je salue l’effort d’équilibre : ils n’ont pas habillé Paul en dépouillant Pierre. Mais quelle sera leur évolution, quand la politique générale est à la réduction des effectifs ? Face à la tendance à la centralisation des services de la région dans son chef-lieu, l’État pourra- t-il continuer à disperser ses services ? ».
Le reformatage de l’éducation nationale dans le cadre exact des nouvelles régions permettront à ces dernières d’avoir des ambitions nouvelles. Une des lignes directrices des gouvernements est la responsabilisation des échelons locaux dans la définition de la politique éducative. Les gouvernements n’ont eu de cesse de décentraliser à tout-va et la phase terminale consistera dans le transfert des personnels aux régions avec des jeunes formés uniquement en fonction des besoins locaux.
Emergence de luttes « territoriales » ?
La fusion des académies a inquiété les personnels ces derniers mois, avant même l’annonce officielle, dans quatre académies dont trois (Amiens, Caen, Limoges) à forte coloration rurale. Ce n’est pas un hasard si des mobilisations ont eu lieu après les vagues de licenciement et de désindustrialisation, notamment autour d’Amiens. Les populations ressentent une fragilité du tissu économique, des services publics. A Caen, les fusions d’établissements scolaires sont annoncés depuis plusieurs années et timidement mises en œuvre, la question des « petits » collèges restant un sujet toujours d’actualité. Or, on sait le rôle fixateur de populations que constituent les institutions publiques quand l’emploi privé fait défaut. Limoges, zone fragilisée depuis de très nombreuses années a été en pointe dans la lutte pour le maintien de son académie. Plus de 5000 signatures en quelques semaines, toutes organisations syndicales confondues, ont dépassé de très loin le nombre de pétitionnaires des autres académies mobilisées.
Des élus locaux ont pris position mais restent bien timorés quant à une bataille décisive. Ces exemples de luttes démontrent une fois de plus la nécessité de l’ancrage dans la réalité locale pour développer la conscience.
Le ministre Blanquer a annoncé le 19 juillet un calendrier prudent puisque les recteurs ne pourront réorganiser leurs académies nouvelles qu’après accord du ministre lui-même dans le cours de l’année 2019. Il a tiré un bilan des initiatives antérieures sous Sarkozy, dans les années 2007-2012, sans aucun plan d’ensemble puisque relevant de l’échelon académique. Blanquer milite donc pour le maintien des équilibres actuels entre les villes pour atténuer l’effet de métropolisation. Or, pour des raisons d’efficacité et d’économie, les recteurs cherchent à disposer de services proches d’eux et c’est ce qui explique le transfert de très nombreux emplois des Inspections académiques
[3] vers les rectorats.
[1] Compte rendu du Conseil des ministres du 31 juillet 2015 : « …La nouvelle organisation des services régionaux de l’État en plusieurs sites distants exige que tous les moyens numériques soient mobilisés et les processus de travail adaptés pour un fonctionnement profondément rénové des administrations. Cette réforme est l’occasion de muter vers une administration 3.0. Le préfet préfigurateur de Bourgogne-Franche-Comté est mandaté, avec l’ensemble de l’équipe de préfiguration de cette région, pour expérimenter de nouvelles méthodes de travail visant à répondre aux enjeux du fonctionnement en multi sites et du travail à distance, à répondre aux demandes nouvelles des usagers en matière d’offre de services et à améliorer les conditions de vie des agents. Il bénéficiera de l’appui des administrations centrales et notamment de la direction interministérielle des services d’information et de communication du secrétariat général à la modernisation de l’action publique… »
[2] Rapport d'information n°493 enregistré à la Présidence du Sénat le 29 juin 2016.
[3] Les Inspections académiques ont changé de nom en 2012 : Direction des Services Départementaux de l’Education nationale et les Inspecteurs ont perdu à cette occasion leurs attributions départementales. Désormais leurs missions sont définies par le recteur.
ici pour modifier.