AU BORD DE L’ABIME
L’invasion de l’Ukraine par la Russie et ses conséquences
Le 24 février 2022, les troupes Russes sont entrées en Ukraine. Un événement qui place l’Europe et le monde dans une situation de grand danger. Un événement qui a surpris tous les observateurs mais qui a des racines profondes, comme notre collaboratrice Sara Grangier le rappelle dans le numéro 162 de Militant et comme l’annonçait dès 2014 un autre article expliquant qu’en encourageant Maiden et l’attaque contre le Donbass, les occidentaux, à commencer par le gouvernement français de l’époque, avaient « lâché les chiens » et auraient à en payer le prix.
Depuis la restauration capitaliste en Europe de l’Est, suivie par l’implosion de l’URSS, les impérialismes se déchainent pour reprendre le terrain perdu. Dans ce mouvement, les occidentaux sont stratégiquement à l’offensive, que ce soit économiquement ou militairement. Un par un, les anciens pays du « bloc de l’Est » et de l’ex-Yougoslavie ont rejoint l’Union européenne : Estonie, Lituanie, Lettonie, Hongrie, Pologne, Tchéquie, Slovaquie, Slovénie (2004), Bulgarie, Roumanie (2007), Croatie (2013)[1]. La partie est de l’Allemagne a été intégrée à l’OTAN avec la réunification de 1990. La Tchéquie, la Hongrie, la Pologne ont adhéré en 1999, la Bulgarie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie en 2004 ; l’Albanie et la Croatie en 2009, le Monténégro en 2017, la Macédoine du nord en 2020. Autant dire que les tensions sont extrêmes avec les oligarques au pouvoir à Moscou, anciens dirigeants staliniens ayant littéralement volé leurs entreprises au moment des privatisations. C’est toute la sphère d’influence politique et commerciale de la Russie qui rétrécit, alors qu’une alliance militaire ouvertement hostile s’approche de ses frontières. Hors de question pour eux de continuer à se laisser dépouiller de leurs prérogatives. L’heure de l’offensive préventive a donc sonné pour Poutine.
Dans ce conflit pour savoir quel bloc économico-militaire capitaliste va asservir l’Europe de l’Est, les travailleurs n’ont aucun camp à soutenir.
Au point où en sont les choses, la victoire de l’un ou l’autre des protagonistes serait funeste. Un échec de l’armée Russe face à l’Ukraine marquerait le ralliement total de ce pays au bloc américain (incluant l’UE) et aggraverait la situation des travailleurs ukrainiens comme de la minorité russophone. Avec en contrecoup une cohésion supplémentaire du nationalisme russe autour de Poutine. Une victoire, même partielle, de la Russie permettrait à ses dirigeants de démembrer une partie du territoire ukrainien, sur le modèle expérimenté en Géorgie. Avec en contrecoup un rapprochement supplémentaire de ses voisins de l’UE et de l’OTAN.
Mais à ce stade, les forces internationalistes susceptible de proposer une alternative sont particulièrement affaiblies.
En Russie, les grandes organisations du mouvement ouvrier, essentiellement le Parti communiste de la Fédération de Russie mais aussi la majorité du petit Front de Gauche, soutiennent l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Seule la minorité du Front de Gauche et les formations d’extrême gauche se prononcent pour la paix, mais ces forces sont marginalisées et pour partie liées à l’opposition libérale pro-US.
En Ukraine même, tous les courants politiques se réclamant du socialisme, à commencer par le puissant Parti communiste, ont été mis hors la loi après la « révolution » de Maidan et l’accession au pouvoir des tenants d’un nationalisme ukrainien antirusse, pro-américain et pro-union européenne. Un pouvoir flanqué comme on le sait, de plusieurs organisations bandéristes et néo-nazies, héritières du nationalisme ukrainien antisémite et génocidaire au pouvoir pendant l’occupation allemande. Ce sont ces mêmes forces qui étaient en première ligne à Maidan puis face aux séparatistes du Donbass. C’est dans cette région qu’ont dû se réfugier les débris des organisations socialistes, comme les internationalistes de Borotba. Mais les Républiques populaires de Donestk et Luhansk initialement dirigées par des militants ouvriers antifascistes et communistes ont été progressivement noyautées par la Russie, compte-tenu de son appui militaire et matériel. Des communistes ont été assassinés, les agents russes ont pris le pouvoir et, une nouvelle fois, les forces progressistes obligées à la clandestinité.
En France même, les voix internationalistes sont marginales. Le rapport de forces est donc singulièrement dégradé, mais il en est malheureusement de même à l’ouverture de chaque conflit impérialiste. Rappelons-nous l’assassinat de Jaurès en 1914, prélude au ralliement des socialistes et de la CGT à « l’union sacrée ». Rappelons-nous l’interdiction du PCF dès 1939.
On voit bien comment, en l’absence même d’un conflit ouvert (une horreur qui marquerait l’ouverture d’une IIIe guerre mondiale, nucléaire) l’opinion publique est travaillée nuit et jour pour soutenir le camp anti-Russe. On n’est pas du tout surpris de voir également comme la « gauche », de l’agent Glucksman à Taubira, Hidalgo et Jadot s’est précipitée dans la surenchère martiale anti-Russe.
Beaucoup plus grave sur le fond, on notera la prise de position des confédérations syndicales CGT, FSU et Solidaires qui ont réussit à publier un communiqué commun le 3 mars, sous le titre « Non à la guerre : retrait immédiat des troupes russes, solidarité avec le peuple ukrainien ». Un titre qui se situe de la première à la dernière lettre dans le sillage de la politique de Macron et qu’on aurait pu résumer en « A bas les Russes, vive les Ukrainiens ! ». Tout le reste est à l’avenant et le communiqué ne dit pas un mot de la politique de la France et ne mentionne pas l’U.E.. Si le mot OTAN est prononcé, au passage, c’est de la manière particulièrement hypocrite qui suit : "La voie pour une paix à long terme passe par la diplomatie, un désarmement négocié, le financement de plans pour la justice sociale et climatique qui devrait être la priorité des États plutôt que la relance des budgets militaires ou l’élargissement de l’OTAN."
Comme il semble loin le temps où tout le mouvement ouvrier international manifestait par centaines de milliers pour exiger le désarmement unilatéral ! Car telle était sa réponse, en pleine guerre froide, à la prétendue menace soviétique. Au niveau de décomposition atteint, bien entendu la notion d’autonomie du mouvement ouvrier a totalement disparu et nos syndicalistes n’en appellent pas aux travailleurs mais s’en remettent aux « États » leur prodiguant quelques bons conseils, très vagues comme il se doit. Inutile d’aller chercher la moindre trace d’anticapitalisme, le plus subliminal soit-il : les gentils États (bourgeois) devraient financer (comment ?) des plans pour la « justice sociale » ; et climatique bien sûr, ne soyons pas en retard sur la mode... Mais comme nos dirigeants syndicaux sont pacifistes ces « plans » (à la Joe Biden ?) devraient conseillent-ils être choisis « plutôt que » la militarisation supplémentaire. Comment va s’arbitrer le « plutôt que » ? Mystère. Sans doute caressent-ils l’espoir que ce soit lors d’une conférence à Matignon où ils auraient un fauteuil à leur nom. Et l’OTAN ? Ah oui, l’OTAN. Eh bien s’il vous plait, ne l’élargissez pas encore davantage, merci. Et celle qui existe ? Jugeant sans doute que c’était un sujet qui fâche, ils choisissent prudemment de ne pas en parler.
L’ennemi principal est dans notre pays !
Dans le concert chauvin qui déferle, Jean-Luc Mélenchon a le mérite d’être le seul homme politique audible à une échelle de masse à se prononcer pour la paix et la négociation. Il aspire à ce que celle-ci soit placée sous les auspices de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), organisme regroupant tous les pays d’Europe et d’Asie centrale, les États-Unis, la Russie et l’Ukraine. Pour autant, sa déclaration « à chaud » en date du 24 février contenait des éléments extrêmement inquiétants quant à sa position de fond et la fragilité de ses convictions en cas de tension extrême : "La Russie prend la responsabilité d’un recul terrible de l’histoire. Elle crée le danger immédiat d’un conflit généralisé qui menace toute l’Humanité. Pour l’Union européenne le temps de la protection mutuelle est venu. En France tous les moyens de défense doivent être immédiatement mobilisés pour garantir totalement les intérêts vitaux de notre pays."
Autrement dit, face au conflit, le premier réflexe de Mélenchon a été d’appeler implicitement à la constitution d’une défense commune de l’Union européenne et explicitement à la mise en alerte de l’armée française !!
Jean-Luc Mélenchon, qui avait depuis longtemps des positions clairvoyantes sur les relations internationales, en particulier vis-à-vis de la Russie, semble naviguer entre deux eaux. Il prend grand soin de condamner vivement Poutine, de soutenir les Ukrainiens, tout en se profilant comme le principal partisan de la paix parmi les candidats à la présidentielle et un des rares à demander encore le retrait de la France de l’OTAN. Mais la volonté de se procurer une légitimité comme président et d’échapper aux accusations calomnieuses d’être pro-Russe (dans lesquelles se sont vautrés Hidalgo et Jadot) semble peser sur l’orientation défendue.
Les dirigeants de la France insoumise et d’Ensemble (Coquerel, Aubry, Autain…) ont ainsi été vus le 5 mars manifester à Paris à République aux côtés de BHL, des LREM et LR et de milliers de nationalistes ukrainiens alors qu’un rassemblement du mouvement ouvrier se tenait au même moment à Denfert Rochereau avec le Mouvement de la paix, le PCF, le NPA.
Une photo de presse symbolise bien la confusion avec laquelle il faut rompre immédiatement, puisqu’on y voit une foule avec côte à côte les pancartes d’SOS Racisme et le drapeau du Secteur Droit, une des milices néo-nazies ukrainiennes, auteur d’innombrables crimes contre le mouvement ouvrier ukrainien et les russophones. La ligne de classe doit clairement séparer les supporters de l’OTAN et du nationalisme ukrainien et le mouvement ouvrier, aussi hostile à Poutine soit-il.
Nous voilà revenus plus d’un siècle en arrière, face à la première boucherie impérialiste mondiale, quand les internationalistes se comptaient sur les doigts de la main… Ceci n’empêche pas d’avoir une politique basée sur des principes. Et face à un affrontement impérialiste le premier est de considérer que l’ennemi principal est dans son propre pays. L’ennemi principal du travailleur français n’est pas le travailleur russe, ni même le gouvernement russe : c’est la grande bourgeoisie française et son fondé de pouvoir Emmanuel Macron.
Et la solution n’est pas de s’en remettre au lobbying sur les États, mais l’appel à la mobilisation des travailleurs. Nous n’entendons pas tirer du passé des positions d’autorité quant au présent, mais comment ne pas être frappés par la force de ce que disaient les internationalistes du début du XXe siècle et la manière dont ils se démarquaient des opportunistes, y compris « marxistes » de leur temps : "La bourgeoisie a justement besoin que des phrases hypocrites sur la paix, des phrases creuses et n’engageant à rien, détournent les ouvriers de la lutte révolutionnaire en temps de guerre, les endorment et les consolent par l’espoir d’une “paix sans annexions”, d’une paix démocratique, et ainsi de suite […]. Or, le point premier et essentiel d’un programme socialiste de paix doit être de démasquer l’hypocrisie du programme de paix de Kautsky, qui consiste à raffermir l’influence de la bourgeoisie sur le prolétariat. » V. Lénine « À propos du “programme de paix” » (1916)
Non à la censure, non au racisme !
Si Emmanuel Macron a bien précisé lors de son intervention télévisée que la France n’était pas en guerre contre la Russie, des mesures de censure sont intervenues, comme l’interdiction du site Sputnik news et de la chaine Russia Today dont en particulier RT-France. Cette censure en dit long sur l’hypocrisie de nos gouvernants, toujours prompts à dénoncer la mise au pas des média… à l’étranger. C’est une inacceptable atteinte à la liberté de l’information, comme l’a souligné notre ami journaliste Jacques Cotta. Ajoutons à cela que près de 300 journalistes se sont retrouvés au chômage du jour au lendemain. Notons que c’est également un coup dur pour les forces populaires et d’opposition à Macron en France, la chaine RT ayant toujours fait preuve de pluralisme et invité des portes paroles d’organisations ou de mouvements sociaux bannis sur les chaines de grande écoute et les media de masse, aux mains de l’État ou d’une poignée de milliardaires.
Concernant RT Arabic, chaine qui émet en direction du monde arabo-musulman et qui donne régulièrement la parole aux éditeurs de Militant, sans aucune censure, elle continue bien sûr à émettre mais son site n’est plus accessible depuis la France, de même que sa chaine Youtube. On peut également s’inquiéter pour le maintien du bureau parisien, les équipes risquant de ne plus pouvoir être payées depuis les sanctions visant le système international d’échanges bancaires.
Alors que personne n’a bronché lors des exactions israéliennes dans les Territoires occupés ou à Gaza, lors de l’intervention franco-britannique qui a détruit la Libye, lors de la dévastation toujours en cours du Yémen par l’Arabie saoudite (avec des armements français), toutes les belles âmes s’indignent de l’invasion russe en Ukraine. La propagande de guerre bat son plein, sur fond d’un insupportable racisme. Et il n’est pas seulement question du scandaleux filtrage des noirs africain parmi les réfugiés aux frontières de la Pologne. Le fond de la pensée des éditorialistes aux ordres sur les chaînes télévisées est qu’il faut s’opposer aux Russes parce que les ukrainiens sont des « blancs », comme « nous ». Non seulement ce raisonnement raciste est moralement répugnant, mais il méconnait la situation réelle du peuple de France qui non seulement comprend en son sein des millions de maghrébins mais est lié à des pays comme l’Algérie et le Maroc par des liens familiaux qui font que notre pays est bien plus proche à tous points de vue de l’ère méditerranéenne et arabo-berbère que de l’Europe de l’Est.
Se développe enfin un racisme anti-russes de plus en plus décomplexé, en particulier dans les cercles macronistes, avec une tonalité qui rappelle de manière écœurante la propagande allemande ou pétainiste pendant la seconde guerre mondiale. Alors que plusieurs procès ont été intentés à l’association BDS (qui préconise le boycott d’Israël) et que le ministre Blanquer a dénoncé la « cancel culture », celle-ci est maintenant pratiquée de manière générale contre les artistes, poètes et musiciens russes, dans des délires de haine. Face aux pressions, le chef d’orchestre russe (d’origine Ossète) de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse Tugan Sokhiev a démissionné, avec ces mots amers : "On me demande de choisir une tradition culturelle plutôt qu'une autre. (...) On me demandera bientôt de choisir entre Tchaïkovski, Stravinsky, Chostakovitch et Beethoven, Brahms, Debussy. Cela se passe déjà en Pologne, un pays européen, où la musique russe est interdite."
On notera que le régime polonais d’extrême-droite, qui l’an passé érigeait des barrières pour bloquer les migrants en provenance de Biélorussie, accueille à bras ouverts les Ukrainiens et fait de la surenchère dans le soutien à Zélensky. Mais le 8 mars, 1 700 étudiants africains noirs attendaient toujours à Sumy qu’on veuille bien les évacuer…
Pas de sanctions contre la Russie !
Au jeu des sanctions, ce sont les travailleurs de France qui vont être, encore une fois, durement touchés. En premier lieu, de nombreuses entreprises françaises sont présentes en Russie, dont par exemple Total ou Renault qui y réalise 20 % de son chiffre d’affaires. Que se passera-t-il si elles sont contraintes à cesser leurs activités ? Les exportations françaises représentaient 5,2 milliards d’euros en 2020 : leur arrêt va avoir des répercussions néfastes pour la production de matériels de transports, la chimie mais aussi l’agriculture avec 780 millions d’euros d’exportations.
Face à la crise du Covid19, Emmanuel Macron a choisi un « quoi qu’il en coûte » qui a fait rompre la France avec toutes les règles d’orthodoxie budgétaire. Avec le contrecoup attendu des sanctions contre la Russie, c’est à nouveau le « quoi qu’il en coûte » qui est annoncé, c’est-à-dire le subventionnement des entreprises par l’État pour amortir le choc. Et donc un nouveau recours à l’emprunt. C’est d’ailleurs l’option choisie par l’Union européenne elle-même. On parle aujourd’hui d’un « plan de résilience » financé par une émission de dette commune de la part des États européens[2]. Or l’endettement est une politique néfaste en tous points pour les travailleurs et le peuple car : 1° à moyen terme les gouvernements le font payer par des hausses d’impôts ou des restrictions de services publics ; 2° à court terme il est générateur d’inflation. Or l’inflation est aujourd’hui la menace numéro 1 pour le peuple français et en premier lieu les couches populaires. L’autre versant du problème est l’impact général des sanctions qui d’ores et déjà fait bondir le prix du carburant à la pompe à plus de 2 € le litre. Les sanctions de Macron et de l’Union européenne sont des sanctions contre le peuple russe mais aussi contre le peuple français et tous les peuples européens : il faut en exiger l’arrêt immédiat.
Depuis deux ans, le monde est plongé dans une crise sévère, considérablement aggravée par la gestion calamiteuse du Covid, les confinements, le démantèlement des systèmes de santé, les fermetures d’entreprises. Le tout sur fond de révoltes populaires contre les restrictions aux libertés démocratiques. La guerre en cours ne va qu’aggraver considérablement les choses en jetant sur les routes des millions de réfugiés, en frappant directement ou indirectement les économies de tous les pays, sur fond d’inflation.
La seule issue favorable aux travailleurs russes, ukrainiens, français et du monde entier est une solution révolutionnaire. Il n’y a qu’une victoire des travailleurs contre les oligarques de l’Est comme de l’Ouest qui permettrait d’écarter le risque de guerres et de permettre de garantir l’autodétermination et la liberté de toutes les nations par une fédération socialiste.
Aujourd’hui cette perspective est non seulement éloignée mais peut paraître relever de chimères. Mais n’oublions pas les exemples tirés du passé et qui montrent comment les conflits les plus terribles peuvent accoucher de changements gigantesques et les masses s’emparer de leur destin.
Face aux convulsions qui se préparent et dont il faut tout faire qu’elles ne s’achèvent pas en holocauste nucléaire, la seule voie possible est celle de la résistance immédiate, aussi minoritaire soit-elle, pour sauver l’espoir et préparer la victoire de demain.
Macron dehors !
France hors de l’UE et de l’OTAN !
A bas l’impérialisme français !
Solidarité avec les internationalistes de Russie et d’Ukraine !
Le secrétariat de rédaction de Militant
09 mars 2022
[1] Albanie, Macédoine du nord, Monténégro, Serbie, Bosnie-Herzégovine, Géorgie, Moldavie et maintenant Ukraine ont déposé leur candidature
Depuis la restauration capitaliste en Europe de l’Est, suivie par l’implosion de l’URSS, les impérialismes se déchainent pour reprendre le terrain perdu. Dans ce mouvement, les occidentaux sont stratégiquement à l’offensive, que ce soit économiquement ou militairement. Un par un, les anciens pays du « bloc de l’Est » et de l’ex-Yougoslavie ont rejoint l’Union européenne : Estonie, Lituanie, Lettonie, Hongrie, Pologne, Tchéquie, Slovaquie, Slovénie (2004), Bulgarie, Roumanie (2007), Croatie (2013)[1]. La partie est de l’Allemagne a été intégrée à l’OTAN avec la réunification de 1990. La Tchéquie, la Hongrie, la Pologne ont adhéré en 1999, la Bulgarie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie en 2004 ; l’Albanie et la Croatie en 2009, le Monténégro en 2017, la Macédoine du nord en 2020. Autant dire que les tensions sont extrêmes avec les oligarques au pouvoir à Moscou, anciens dirigeants staliniens ayant littéralement volé leurs entreprises au moment des privatisations. C’est toute la sphère d’influence politique et commerciale de la Russie qui rétrécit, alors qu’une alliance militaire ouvertement hostile s’approche de ses frontières. Hors de question pour eux de continuer à se laisser dépouiller de leurs prérogatives. L’heure de l’offensive préventive a donc sonné pour Poutine.
Dans ce conflit pour savoir quel bloc économico-militaire capitaliste va asservir l’Europe de l’Est, les travailleurs n’ont aucun camp à soutenir.
Au point où en sont les choses, la victoire de l’un ou l’autre des protagonistes serait funeste. Un échec de l’armée Russe face à l’Ukraine marquerait le ralliement total de ce pays au bloc américain (incluant l’UE) et aggraverait la situation des travailleurs ukrainiens comme de la minorité russophone. Avec en contrecoup une cohésion supplémentaire du nationalisme russe autour de Poutine. Une victoire, même partielle, de la Russie permettrait à ses dirigeants de démembrer une partie du territoire ukrainien, sur le modèle expérimenté en Géorgie. Avec en contrecoup un rapprochement supplémentaire de ses voisins de l’UE et de l’OTAN.
Mais à ce stade, les forces internationalistes susceptible de proposer une alternative sont particulièrement affaiblies.
En Russie, les grandes organisations du mouvement ouvrier, essentiellement le Parti communiste de la Fédération de Russie mais aussi la majorité du petit Front de Gauche, soutiennent l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Seule la minorité du Front de Gauche et les formations d’extrême gauche se prononcent pour la paix, mais ces forces sont marginalisées et pour partie liées à l’opposition libérale pro-US.
En Ukraine même, tous les courants politiques se réclamant du socialisme, à commencer par le puissant Parti communiste, ont été mis hors la loi après la « révolution » de Maidan et l’accession au pouvoir des tenants d’un nationalisme ukrainien antirusse, pro-américain et pro-union européenne. Un pouvoir flanqué comme on le sait, de plusieurs organisations bandéristes et néo-nazies, héritières du nationalisme ukrainien antisémite et génocidaire au pouvoir pendant l’occupation allemande. Ce sont ces mêmes forces qui étaient en première ligne à Maidan puis face aux séparatistes du Donbass. C’est dans cette région qu’ont dû se réfugier les débris des organisations socialistes, comme les internationalistes de Borotba. Mais les Républiques populaires de Donestk et Luhansk initialement dirigées par des militants ouvriers antifascistes et communistes ont été progressivement noyautées par la Russie, compte-tenu de son appui militaire et matériel. Des communistes ont été assassinés, les agents russes ont pris le pouvoir et, une nouvelle fois, les forces progressistes obligées à la clandestinité.
En France même, les voix internationalistes sont marginales. Le rapport de forces est donc singulièrement dégradé, mais il en est malheureusement de même à l’ouverture de chaque conflit impérialiste. Rappelons-nous l’assassinat de Jaurès en 1914, prélude au ralliement des socialistes et de la CGT à « l’union sacrée ». Rappelons-nous l’interdiction du PCF dès 1939.
On voit bien comment, en l’absence même d’un conflit ouvert (une horreur qui marquerait l’ouverture d’une IIIe guerre mondiale, nucléaire) l’opinion publique est travaillée nuit et jour pour soutenir le camp anti-Russe. On n’est pas du tout surpris de voir également comme la « gauche », de l’agent Glucksman à Taubira, Hidalgo et Jadot s’est précipitée dans la surenchère martiale anti-Russe.
Beaucoup plus grave sur le fond, on notera la prise de position des confédérations syndicales CGT, FSU et Solidaires qui ont réussit à publier un communiqué commun le 3 mars, sous le titre « Non à la guerre : retrait immédiat des troupes russes, solidarité avec le peuple ukrainien ». Un titre qui se situe de la première à la dernière lettre dans le sillage de la politique de Macron et qu’on aurait pu résumer en « A bas les Russes, vive les Ukrainiens ! ». Tout le reste est à l’avenant et le communiqué ne dit pas un mot de la politique de la France et ne mentionne pas l’U.E.. Si le mot OTAN est prononcé, au passage, c’est de la manière particulièrement hypocrite qui suit : "La voie pour une paix à long terme passe par la diplomatie, un désarmement négocié, le financement de plans pour la justice sociale et climatique qui devrait être la priorité des États plutôt que la relance des budgets militaires ou l’élargissement de l’OTAN."
Comme il semble loin le temps où tout le mouvement ouvrier international manifestait par centaines de milliers pour exiger le désarmement unilatéral ! Car telle était sa réponse, en pleine guerre froide, à la prétendue menace soviétique. Au niveau de décomposition atteint, bien entendu la notion d’autonomie du mouvement ouvrier a totalement disparu et nos syndicalistes n’en appellent pas aux travailleurs mais s’en remettent aux « États » leur prodiguant quelques bons conseils, très vagues comme il se doit. Inutile d’aller chercher la moindre trace d’anticapitalisme, le plus subliminal soit-il : les gentils États (bourgeois) devraient financer (comment ?) des plans pour la « justice sociale » ; et climatique bien sûr, ne soyons pas en retard sur la mode... Mais comme nos dirigeants syndicaux sont pacifistes ces « plans » (à la Joe Biden ?) devraient conseillent-ils être choisis « plutôt que » la militarisation supplémentaire. Comment va s’arbitrer le « plutôt que » ? Mystère. Sans doute caressent-ils l’espoir que ce soit lors d’une conférence à Matignon où ils auraient un fauteuil à leur nom. Et l’OTAN ? Ah oui, l’OTAN. Eh bien s’il vous plait, ne l’élargissez pas encore davantage, merci. Et celle qui existe ? Jugeant sans doute que c’était un sujet qui fâche, ils choisissent prudemment de ne pas en parler.
L’ennemi principal est dans notre pays !
Dans le concert chauvin qui déferle, Jean-Luc Mélenchon a le mérite d’être le seul homme politique audible à une échelle de masse à se prononcer pour la paix et la négociation. Il aspire à ce que celle-ci soit placée sous les auspices de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), organisme regroupant tous les pays d’Europe et d’Asie centrale, les États-Unis, la Russie et l’Ukraine. Pour autant, sa déclaration « à chaud » en date du 24 février contenait des éléments extrêmement inquiétants quant à sa position de fond et la fragilité de ses convictions en cas de tension extrême : "La Russie prend la responsabilité d’un recul terrible de l’histoire. Elle crée le danger immédiat d’un conflit généralisé qui menace toute l’Humanité. Pour l’Union européenne le temps de la protection mutuelle est venu. En France tous les moyens de défense doivent être immédiatement mobilisés pour garantir totalement les intérêts vitaux de notre pays."
Autrement dit, face au conflit, le premier réflexe de Mélenchon a été d’appeler implicitement à la constitution d’une défense commune de l’Union européenne et explicitement à la mise en alerte de l’armée française !!
Jean-Luc Mélenchon, qui avait depuis longtemps des positions clairvoyantes sur les relations internationales, en particulier vis-à-vis de la Russie, semble naviguer entre deux eaux. Il prend grand soin de condamner vivement Poutine, de soutenir les Ukrainiens, tout en se profilant comme le principal partisan de la paix parmi les candidats à la présidentielle et un des rares à demander encore le retrait de la France de l’OTAN. Mais la volonté de se procurer une légitimité comme président et d’échapper aux accusations calomnieuses d’être pro-Russe (dans lesquelles se sont vautrés Hidalgo et Jadot) semble peser sur l’orientation défendue.
Les dirigeants de la France insoumise et d’Ensemble (Coquerel, Aubry, Autain…) ont ainsi été vus le 5 mars manifester à Paris à République aux côtés de BHL, des LREM et LR et de milliers de nationalistes ukrainiens alors qu’un rassemblement du mouvement ouvrier se tenait au même moment à Denfert Rochereau avec le Mouvement de la paix, le PCF, le NPA.
Une photo de presse symbolise bien la confusion avec laquelle il faut rompre immédiatement, puisqu’on y voit une foule avec côte à côte les pancartes d’SOS Racisme et le drapeau du Secteur Droit, une des milices néo-nazies ukrainiennes, auteur d’innombrables crimes contre le mouvement ouvrier ukrainien et les russophones. La ligne de classe doit clairement séparer les supporters de l’OTAN et du nationalisme ukrainien et le mouvement ouvrier, aussi hostile à Poutine soit-il.
Nous voilà revenus plus d’un siècle en arrière, face à la première boucherie impérialiste mondiale, quand les internationalistes se comptaient sur les doigts de la main… Ceci n’empêche pas d’avoir une politique basée sur des principes. Et face à un affrontement impérialiste le premier est de considérer que l’ennemi principal est dans son propre pays. L’ennemi principal du travailleur français n’est pas le travailleur russe, ni même le gouvernement russe : c’est la grande bourgeoisie française et son fondé de pouvoir Emmanuel Macron.
Et la solution n’est pas de s’en remettre au lobbying sur les États, mais l’appel à la mobilisation des travailleurs. Nous n’entendons pas tirer du passé des positions d’autorité quant au présent, mais comment ne pas être frappés par la force de ce que disaient les internationalistes du début du XXe siècle et la manière dont ils se démarquaient des opportunistes, y compris « marxistes » de leur temps : "La bourgeoisie a justement besoin que des phrases hypocrites sur la paix, des phrases creuses et n’engageant à rien, détournent les ouvriers de la lutte révolutionnaire en temps de guerre, les endorment et les consolent par l’espoir d’une “paix sans annexions”, d’une paix démocratique, et ainsi de suite […]. Or, le point premier et essentiel d’un programme socialiste de paix doit être de démasquer l’hypocrisie du programme de paix de Kautsky, qui consiste à raffermir l’influence de la bourgeoisie sur le prolétariat. » V. Lénine « À propos du “programme de paix” » (1916)
Non à la censure, non au racisme !
Si Emmanuel Macron a bien précisé lors de son intervention télévisée que la France n’était pas en guerre contre la Russie, des mesures de censure sont intervenues, comme l’interdiction du site Sputnik news et de la chaine Russia Today dont en particulier RT-France. Cette censure en dit long sur l’hypocrisie de nos gouvernants, toujours prompts à dénoncer la mise au pas des média… à l’étranger. C’est une inacceptable atteinte à la liberté de l’information, comme l’a souligné notre ami journaliste Jacques Cotta. Ajoutons à cela que près de 300 journalistes se sont retrouvés au chômage du jour au lendemain. Notons que c’est également un coup dur pour les forces populaires et d’opposition à Macron en France, la chaine RT ayant toujours fait preuve de pluralisme et invité des portes paroles d’organisations ou de mouvements sociaux bannis sur les chaines de grande écoute et les media de masse, aux mains de l’État ou d’une poignée de milliardaires.
Concernant RT Arabic, chaine qui émet en direction du monde arabo-musulman et qui donne régulièrement la parole aux éditeurs de Militant, sans aucune censure, elle continue bien sûr à émettre mais son site n’est plus accessible depuis la France, de même que sa chaine Youtube. On peut également s’inquiéter pour le maintien du bureau parisien, les équipes risquant de ne plus pouvoir être payées depuis les sanctions visant le système international d’échanges bancaires.
Alors que personne n’a bronché lors des exactions israéliennes dans les Territoires occupés ou à Gaza, lors de l’intervention franco-britannique qui a détruit la Libye, lors de la dévastation toujours en cours du Yémen par l’Arabie saoudite (avec des armements français), toutes les belles âmes s’indignent de l’invasion russe en Ukraine. La propagande de guerre bat son plein, sur fond d’un insupportable racisme. Et il n’est pas seulement question du scandaleux filtrage des noirs africain parmi les réfugiés aux frontières de la Pologne. Le fond de la pensée des éditorialistes aux ordres sur les chaînes télévisées est qu’il faut s’opposer aux Russes parce que les ukrainiens sont des « blancs », comme « nous ». Non seulement ce raisonnement raciste est moralement répugnant, mais il méconnait la situation réelle du peuple de France qui non seulement comprend en son sein des millions de maghrébins mais est lié à des pays comme l’Algérie et le Maroc par des liens familiaux qui font que notre pays est bien plus proche à tous points de vue de l’ère méditerranéenne et arabo-berbère que de l’Europe de l’Est.
Se développe enfin un racisme anti-russes de plus en plus décomplexé, en particulier dans les cercles macronistes, avec une tonalité qui rappelle de manière écœurante la propagande allemande ou pétainiste pendant la seconde guerre mondiale. Alors que plusieurs procès ont été intentés à l’association BDS (qui préconise le boycott d’Israël) et que le ministre Blanquer a dénoncé la « cancel culture », celle-ci est maintenant pratiquée de manière générale contre les artistes, poètes et musiciens russes, dans des délires de haine. Face aux pressions, le chef d’orchestre russe (d’origine Ossète) de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse Tugan Sokhiev a démissionné, avec ces mots amers : "On me demande de choisir une tradition culturelle plutôt qu'une autre. (...) On me demandera bientôt de choisir entre Tchaïkovski, Stravinsky, Chostakovitch et Beethoven, Brahms, Debussy. Cela se passe déjà en Pologne, un pays européen, où la musique russe est interdite."
On notera que le régime polonais d’extrême-droite, qui l’an passé érigeait des barrières pour bloquer les migrants en provenance de Biélorussie, accueille à bras ouverts les Ukrainiens et fait de la surenchère dans le soutien à Zélensky. Mais le 8 mars, 1 700 étudiants africains noirs attendaient toujours à Sumy qu’on veuille bien les évacuer…
Pas de sanctions contre la Russie !
Au jeu des sanctions, ce sont les travailleurs de France qui vont être, encore une fois, durement touchés. En premier lieu, de nombreuses entreprises françaises sont présentes en Russie, dont par exemple Total ou Renault qui y réalise 20 % de son chiffre d’affaires. Que se passera-t-il si elles sont contraintes à cesser leurs activités ? Les exportations françaises représentaient 5,2 milliards d’euros en 2020 : leur arrêt va avoir des répercussions néfastes pour la production de matériels de transports, la chimie mais aussi l’agriculture avec 780 millions d’euros d’exportations.
Face à la crise du Covid19, Emmanuel Macron a choisi un « quoi qu’il en coûte » qui a fait rompre la France avec toutes les règles d’orthodoxie budgétaire. Avec le contrecoup attendu des sanctions contre la Russie, c’est à nouveau le « quoi qu’il en coûte » qui est annoncé, c’est-à-dire le subventionnement des entreprises par l’État pour amortir le choc. Et donc un nouveau recours à l’emprunt. C’est d’ailleurs l’option choisie par l’Union européenne elle-même. On parle aujourd’hui d’un « plan de résilience » financé par une émission de dette commune de la part des États européens[2]. Or l’endettement est une politique néfaste en tous points pour les travailleurs et le peuple car : 1° à moyen terme les gouvernements le font payer par des hausses d’impôts ou des restrictions de services publics ; 2° à court terme il est générateur d’inflation. Or l’inflation est aujourd’hui la menace numéro 1 pour le peuple français et en premier lieu les couches populaires. L’autre versant du problème est l’impact général des sanctions qui d’ores et déjà fait bondir le prix du carburant à la pompe à plus de 2 € le litre. Les sanctions de Macron et de l’Union européenne sont des sanctions contre le peuple russe mais aussi contre le peuple français et tous les peuples européens : il faut en exiger l’arrêt immédiat.
Depuis deux ans, le monde est plongé dans une crise sévère, considérablement aggravée par la gestion calamiteuse du Covid, les confinements, le démantèlement des systèmes de santé, les fermetures d’entreprises. Le tout sur fond de révoltes populaires contre les restrictions aux libertés démocratiques. La guerre en cours ne va qu’aggraver considérablement les choses en jetant sur les routes des millions de réfugiés, en frappant directement ou indirectement les économies de tous les pays, sur fond d’inflation.
La seule issue favorable aux travailleurs russes, ukrainiens, français et du monde entier est une solution révolutionnaire. Il n’y a qu’une victoire des travailleurs contre les oligarques de l’Est comme de l’Ouest qui permettrait d’écarter le risque de guerres et de permettre de garantir l’autodétermination et la liberté de toutes les nations par une fédération socialiste.
Aujourd’hui cette perspective est non seulement éloignée mais peut paraître relever de chimères. Mais n’oublions pas les exemples tirés du passé et qui montrent comment les conflits les plus terribles peuvent accoucher de changements gigantesques et les masses s’emparer de leur destin.
Face aux convulsions qui se préparent et dont il faut tout faire qu’elles ne s’achèvent pas en holocauste nucléaire, la seule voie possible est celle de la résistance immédiate, aussi minoritaire soit-elle, pour sauver l’espoir et préparer la victoire de demain.
Macron dehors !
France hors de l’UE et de l’OTAN !
A bas l’impérialisme français !
Solidarité avec les internationalistes de Russie et d’Ukraine !
Le secrétariat de rédaction de Militant
09 mars 2022
[1] Albanie, Macédoine du nord, Monténégro, Serbie, Bosnie-Herzégovine, Géorgie, Moldavie et maintenant Ukraine ont déposé leur candidature