Didier Mariategui
« Faire émerger un bloc populaire antilibéral »
Peux tu te présenter ?
L’interview biographique est un exercice particulier tant il n’est jamais commode de parler de soi. Il est certain que dans la famille des pronoms personnels, par pudeur sans doute et tropisme marxien certainement, l’usage du nous aura toujours ma préférence. Et puis je redoute le côté ancien combattant.
J’ai 47 ans, je vis actuellement dans le Vaucluse depuis un peu moins d’un an, suite à une mobilité professionnelle.
A cet égard, je suis directeur de l’éducation des villes. J’ai exercé ces fonctions dans différentes collectivités en Ile de France depuis un peu plus de 20 ans. Autant que faire se peut, je fais en sorte de servir le public avec des exécutifs locaux vis-à-vis desquels la dissonance idéologique reste acceptable…
A quel âge t’es tu intéressé à la politique ?
L’intérêt pour la politique, ça m’a pris tôt. J’ai adhéré au mouvement des jeunesses communistes à 14 ans. Quand tu viens d’une famille ouvrière « gauchisante » et que tu vis dans un quartier populaire de la ceinture rouge parisienne, ça crée quelques prédispositions ataviques au développement d’une conscience de classe et des velléités bien enracinées de transformation de la société.
Mon engagement politique, je dirais qu’il s’est structuré autour d’une profonde aspiration révolutionnaire et la ferme conviction que le sens de l’Histoire nous conduirait au dépassement du capitalisme. En ce sens, le combat internationaliste et pour l’émancipation des peuples est devenu très vite une évidence pour moi. Bon, il faut bien admettre que la fréquentation précoce et prolongée de la diaspora sud américaine particulièrement bien représentée à Fontenay Sous Bois, m’a fortement influencé. Mes camarades et amis d’enfance, dont les parents avaient fuit la terreur des dictatures civico-militaires des années 70 et 80, me reliaient à ma propre histoire familiale et nationale de la résistance contre le nazisme.
Peux tu nous dire quel a été ton parcours politique ?
L’Histoire de la République espagnole et en particulier l’expérience libertaire, mais également la figure de Salvador Allende et les trois années du gouvernement de l’Unité Populaire ou encore la Révolution sandiniste ont été constitutives de ma formation idéologique et d’un cheminement qui m’a conduit à rejoindre la LCR et l’anarcho-syndicalisme avec la CNT, d’abord à l’université puis au travail.
En 1995, je monte une section syndicale de la CNT dans laquelle pratiquement tous les animateurs de la Ville de Fontenay Sous Bois nous avaient rejoints. Nos revendications articulaient lutte contre la précarité et la défense d’une vision émancipatrice de l’action éducative dans les quartiers populaires de notre ville.
Dans les années 2000 je participe aux élections municipales sur les listes 100% à gauche de la LCR. Quand la LCR devient le NPA, je prends mes distances avec l’organisation, considérant que ce changement de nom amorçait un virage idéologique, et pas uniquement stratégique, dont la crise de la candidate voilée soutenue par Olivier Besancenot était un symptôme signifiant.
Un parti marxiste et révolutionnaire ne peut pas tomber dans le piège mortifère de l’ethnicisation des rapports sociaux. Sans quoi c’est l’impasse idéologique et l’impuissance politique que représentent des mouvements tels que les Indigènes de la République.
Comme il n’était pas question de revenir au PCF, j’adhère au PG qui a mon sens était susceptible d’incarner une radicalité politique tout en offrant une perspective de développement d’une stratégie de conquête du pouvoir.
Quel est ton rapport à la France insoumise ?
C’est assez naturellement que je rejoins la dynamique de la FI aux présidentielles de 2017 puis en étant candidat aux législatives dans la 3ème circonscription de Seine et Marne, où nous avons obtenu un score honorable de 15% des suffrages.
Aujourd’hui, je reste convaincu qu’il faut continuer le combat politique avec la FI, mais la question de la démocratie interne reste posée. Je la partage avec mes camarades du groupe d’appui. D’ailleurs, ce qui est intéressant, paradoxalement, c’est notre capacité d’autonomisation dans notre rapport aux figures nationales de la FI. Notre visibilité locale régulière et constante depuis 2017 se traduit par un réel capital sympathie auprès de la population dans l’espace public et nous confère une certaine légitimité dans notre rapport avec d’autres forces de gauche qui nous permettra de participer aux élections municipales.
Que penses-tu de la situation que nous traversons ?
Je crois que dans les prochaines échéances, face au bloc néolibéral qui domine politiquement, mais dont l’hégémonie culturelle s’effrite jour après jour, nous avons la responsabilité de ne pas laisser un boulevard au bloc nationaliste. Il faudra bien trouver le moyen de faire émerger un bloc populaire antilibéral écologiste pour dépasser l’atomisation des forces de gauche et les logiques de survie de leurs apparatchiks respectifs.
C’est d’ailleurs tout l’intérêt d’un bulletin comme Militant, en ce sens qu’il propose un espace d’expression pour la diffusion de nos idées au sein de la FI et autour.
Tu portes un intérêt particulier pour l’Argentine. Peux tu nous en dire plus ?
Mon intérêt pour l’Amérique du Sud, je l’évoquais plus haut, s’est également traduit par une période d’expatriation d’un peu plus de 3 ans en Argentine, des liens familiaux et amicaux. Enfin, depuis près de 15 ans, je suis engagé dans un projet associatif. La Croix du Sud une association de solidarité avec les peuples autochtones d’Argentine. Aujourd’hui, la petite dizaine de membres que nous sommes se retrouve à la FI et dans les luttes des gilets jaunes.
Concernant l’Argentine, en octobre dernier le peuple argentin a tourné la page Macri. La victoire du « Frente de todos » avec la formule péroniste Alberto Fernandez-Cristina Fernandez de Kirchner marque la fin d’une réplique néolibérale de 4 années qui en réalité a fait faire un bon en arrière de 20 ans, tant la situation économique et sociale est catastrophique. Techniquement l’Argentine est en cessation de paiement, comme en 2001. Le peso est à son plus bas niveau face au dollar et les réserves en dollars de la banque centrale se sont évaporées, conséquence de la crise monétaire et de la suppression du contrôle des changes par l’administration Macri.
Les libéraux ont de nouveau ruiné le pays en laissant une ardoise de 57 milliards de dollars auprès du FMI. Cette situation Godzillesque soulève la question, non seulement de la soutenabilité de cette dette mais également de sa légitimité.
Pour le nouveau Président péroniste Alberto Fernandez, l’héritage est lourd et représente un handicap sérieux pour la mise en place d’une politique redistributive, dans le cadre d’un plan d’urgence sociale. L’équation permettant de résoudre la somme des contradictions entre les aspirations populaires et le remboursement de cette dette colossale, dont une partie des fonds s’est déjà évaporée par le truchement de l’évasion fiscale, ne laisse que trop peu de marge de manœuvre.
De plus, la 3ème économie du continent ne pourra pas compter sur le moteur des exportations agricoles comme dans la séquence de forte croissance à deux chiffres qui avait permis à l’Argentine de se redresser après la crise de 2001. Dans le contexte d’alors, les présidences péronistes des époux Kirchner ont pu mener une politique économique plutôt hétérodoxe, tournée vers le développement de l’industrie locale et assez favorables aux classes moyennes et aux secteurs populaires.
Alberto Fernandez ne pourra pas durablement gouverner avec le Kabuki des mythes et légendes du péronisme de « gauche ». Le Général Peron ne disait-il pas « l’unique vérité c’est la réalité » ? Puisque Alberto Fernandez veut la concorde nationale et ne remet pas en cause le paiement de la dette en recherchant un accord avec le FMI, qui en fera véritablement les frais ? Au moment de la confrontation réelle avec les intérêts de l’oligarchie, le péronisme se caractérise par sa lâcheté historique et ses nombreuses trahisons au camp des travailleurs. L’Argentine n’étant pas seulement riche de son agriculture et de l’élevage extensif, son sous-sol attise les convoitises capitalistes et pourrait bien entrer dans les termes d’un accord avec le FMI.
L’interview biographique est un exercice particulier tant il n’est jamais commode de parler de soi. Il est certain que dans la famille des pronoms personnels, par pudeur sans doute et tropisme marxien certainement, l’usage du nous aura toujours ma préférence. Et puis je redoute le côté ancien combattant.
J’ai 47 ans, je vis actuellement dans le Vaucluse depuis un peu moins d’un an, suite à une mobilité professionnelle.
A cet égard, je suis directeur de l’éducation des villes. J’ai exercé ces fonctions dans différentes collectivités en Ile de France depuis un peu plus de 20 ans. Autant que faire se peut, je fais en sorte de servir le public avec des exécutifs locaux vis-à-vis desquels la dissonance idéologique reste acceptable…
A quel âge t’es tu intéressé à la politique ?
L’intérêt pour la politique, ça m’a pris tôt. J’ai adhéré au mouvement des jeunesses communistes à 14 ans. Quand tu viens d’une famille ouvrière « gauchisante » et que tu vis dans un quartier populaire de la ceinture rouge parisienne, ça crée quelques prédispositions ataviques au développement d’une conscience de classe et des velléités bien enracinées de transformation de la société.
Mon engagement politique, je dirais qu’il s’est structuré autour d’une profonde aspiration révolutionnaire et la ferme conviction que le sens de l’Histoire nous conduirait au dépassement du capitalisme. En ce sens, le combat internationaliste et pour l’émancipation des peuples est devenu très vite une évidence pour moi. Bon, il faut bien admettre que la fréquentation précoce et prolongée de la diaspora sud américaine particulièrement bien représentée à Fontenay Sous Bois, m’a fortement influencé. Mes camarades et amis d’enfance, dont les parents avaient fuit la terreur des dictatures civico-militaires des années 70 et 80, me reliaient à ma propre histoire familiale et nationale de la résistance contre le nazisme.
Peux tu nous dire quel a été ton parcours politique ?
L’Histoire de la République espagnole et en particulier l’expérience libertaire, mais également la figure de Salvador Allende et les trois années du gouvernement de l’Unité Populaire ou encore la Révolution sandiniste ont été constitutives de ma formation idéologique et d’un cheminement qui m’a conduit à rejoindre la LCR et l’anarcho-syndicalisme avec la CNT, d’abord à l’université puis au travail.
En 1995, je monte une section syndicale de la CNT dans laquelle pratiquement tous les animateurs de la Ville de Fontenay Sous Bois nous avaient rejoints. Nos revendications articulaient lutte contre la précarité et la défense d’une vision émancipatrice de l’action éducative dans les quartiers populaires de notre ville.
Dans les années 2000 je participe aux élections municipales sur les listes 100% à gauche de la LCR. Quand la LCR devient le NPA, je prends mes distances avec l’organisation, considérant que ce changement de nom amorçait un virage idéologique, et pas uniquement stratégique, dont la crise de la candidate voilée soutenue par Olivier Besancenot était un symptôme signifiant.
Un parti marxiste et révolutionnaire ne peut pas tomber dans le piège mortifère de l’ethnicisation des rapports sociaux. Sans quoi c’est l’impasse idéologique et l’impuissance politique que représentent des mouvements tels que les Indigènes de la République.
Comme il n’était pas question de revenir au PCF, j’adhère au PG qui a mon sens était susceptible d’incarner une radicalité politique tout en offrant une perspective de développement d’une stratégie de conquête du pouvoir.
Quel est ton rapport à la France insoumise ?
C’est assez naturellement que je rejoins la dynamique de la FI aux présidentielles de 2017 puis en étant candidat aux législatives dans la 3ème circonscription de Seine et Marne, où nous avons obtenu un score honorable de 15% des suffrages.
Aujourd’hui, je reste convaincu qu’il faut continuer le combat politique avec la FI, mais la question de la démocratie interne reste posée. Je la partage avec mes camarades du groupe d’appui. D’ailleurs, ce qui est intéressant, paradoxalement, c’est notre capacité d’autonomisation dans notre rapport aux figures nationales de la FI. Notre visibilité locale régulière et constante depuis 2017 se traduit par un réel capital sympathie auprès de la population dans l’espace public et nous confère une certaine légitimité dans notre rapport avec d’autres forces de gauche qui nous permettra de participer aux élections municipales.
Que penses-tu de la situation que nous traversons ?
Je crois que dans les prochaines échéances, face au bloc néolibéral qui domine politiquement, mais dont l’hégémonie culturelle s’effrite jour après jour, nous avons la responsabilité de ne pas laisser un boulevard au bloc nationaliste. Il faudra bien trouver le moyen de faire émerger un bloc populaire antilibéral écologiste pour dépasser l’atomisation des forces de gauche et les logiques de survie de leurs apparatchiks respectifs.
C’est d’ailleurs tout l’intérêt d’un bulletin comme Militant, en ce sens qu’il propose un espace d’expression pour la diffusion de nos idées au sein de la FI et autour.
Tu portes un intérêt particulier pour l’Argentine. Peux tu nous en dire plus ?
Mon intérêt pour l’Amérique du Sud, je l’évoquais plus haut, s’est également traduit par une période d’expatriation d’un peu plus de 3 ans en Argentine, des liens familiaux et amicaux. Enfin, depuis près de 15 ans, je suis engagé dans un projet associatif. La Croix du Sud une association de solidarité avec les peuples autochtones d’Argentine. Aujourd’hui, la petite dizaine de membres que nous sommes se retrouve à la FI et dans les luttes des gilets jaunes.
Concernant l’Argentine, en octobre dernier le peuple argentin a tourné la page Macri. La victoire du « Frente de todos » avec la formule péroniste Alberto Fernandez-Cristina Fernandez de Kirchner marque la fin d’une réplique néolibérale de 4 années qui en réalité a fait faire un bon en arrière de 20 ans, tant la situation économique et sociale est catastrophique. Techniquement l’Argentine est en cessation de paiement, comme en 2001. Le peso est à son plus bas niveau face au dollar et les réserves en dollars de la banque centrale se sont évaporées, conséquence de la crise monétaire et de la suppression du contrôle des changes par l’administration Macri.
Les libéraux ont de nouveau ruiné le pays en laissant une ardoise de 57 milliards de dollars auprès du FMI. Cette situation Godzillesque soulève la question, non seulement de la soutenabilité de cette dette mais également de sa légitimité.
Pour le nouveau Président péroniste Alberto Fernandez, l’héritage est lourd et représente un handicap sérieux pour la mise en place d’une politique redistributive, dans le cadre d’un plan d’urgence sociale. L’équation permettant de résoudre la somme des contradictions entre les aspirations populaires et le remboursement de cette dette colossale, dont une partie des fonds s’est déjà évaporée par le truchement de l’évasion fiscale, ne laisse que trop peu de marge de manœuvre.
De plus, la 3ème économie du continent ne pourra pas compter sur le moteur des exportations agricoles comme dans la séquence de forte croissance à deux chiffres qui avait permis à l’Argentine de se redresser après la crise de 2001. Dans le contexte d’alors, les présidences péronistes des époux Kirchner ont pu mener une politique économique plutôt hétérodoxe, tournée vers le développement de l’industrie locale et assez favorables aux classes moyennes et aux secteurs populaires.
Alberto Fernandez ne pourra pas durablement gouverner avec le Kabuki des mythes et légendes du péronisme de « gauche ». Le Général Peron ne disait-il pas « l’unique vérité c’est la réalité » ? Puisque Alberto Fernandez veut la concorde nationale et ne remet pas en cause le paiement de la dette en recherchant un accord avec le FMI, qui en fera véritablement les frais ? Au moment de la confrontation réelle avec les intérêts de l’oligarchie, le péronisme se caractérise par sa lâcheté historique et ses nombreuses trahisons au camp des travailleurs. L’Argentine n’étant pas seulement riche de son agriculture et de l’élevage extensif, son sous-sol attise les convoitises capitalistes et pourrait bien entrer dans les termes d’un accord avec le FMI.