Alençon (Orne) La réorganisation de l’élite locale
Par François Ferrette
Alençon est une petite ville moyenne de 27000 habitants située dans le département de l’Orne, en Normandie. La préparation des élections municipales se déroule dans des conditions inédites. Pour la première fois depuis des décennies, il y aura un nombre étourdissant de listes, six ayant été annoncées. L’élite locale se réorganise en faisant des chassé-croisé entre courants politiques autrefois distingués par le clivage gauche-droite. La situation En 2014, une liste d’union, au second tour, PS/PCF/Alternative citoyenne est élue de justesse. Le maire d’alors, Joaquim Pueyo, devient député en juin 2017 sans investiture du PS et sur une ligne de soutien à la majorité macronienne. Il cède sa place à la mairie à un autre membre du PS, Emmanuel Darcissac. Ce dernier, longtemps membre du PS, soutient la liste LREM aux Européennes 2019 puis a commencé à recevoir des soutiens dans des secteurs politiques de l’opposition de droite tout en voyant le groupe socialiste se fissurer. Reconfiguration de l’élite locale Darcissac reçoit l’investiture LREM dès le mois de juin 2019 pour les municipales 2020, puis des ralliements centristes (UDI) s’opèrent à la suite. De leur côté, Les Républicains se sont indignés du lâchage de l’UDI pour finalement proposer une liste « panpolitique » allant du… PS à LR en passant par des recrutements issus du macronisme. On note également le soutien d’un courant de la droite, AGIR, qui avait participé à la liste... LREM aux Européennes quelques mois plus tôt. L’ancien maire, Joaquim Pueyo, a organisé son retour et annoncé sa candidature à la mairie sur une liste de gauche (mais pas investie par le PS). Il bénéficie de l’apport de ses colistiers de 2014 mais en ayant perdu les 2/3 de ceux d’alors, raccrochés désormais à LREM. Une opposition divisée Une liste Alternative citoyenne, EELV, Génération.S et PCF sera résolument de gauche porte le titre de « Gauche Unie Ecologique et Solidaire ». Signalons encore la liste d’un pharmacien qui était lié à la droite locale et soutenue en sous-main par une partie de LR. La France insoumise avait rencontré le PCF et Alternative citoyenne pour discuter d’une liste commune éventuelle. La FI n’avait pas d’a priori concernant une politique unitaire, hormis le fait d’être d’accord sur le profil politique à défendre auprès des habitants et souhaitait marquer un tournant par rapport aux anciennes pratiques. Deux sujets ont achoppé sur l’union : la tactique électorale au second tour et la relation au peuple. Le PCF est prêt à s’allier au PS sans souci car des « valeurs communes » sont partagées. On s’interrogera sur les valeurs communes déployées par la gauche au pouvoir ! Les commentateurs notent que le clivage gauche-droite est passé au second plan dans les choix politiques, préférant des clivages différents (peuple/élite, nation/mondialisation, etc.). Mais rien n’y fait, l’intitulé choisi (Une Gauche Unie...) suggère que le récent repli identitaire du PCF s’est propagé parmi ses partenaires. Il suffirait de rappeler son identité pour appuyer un vote. Le mot de « gauche » aurait conservé une vertu mobilisatrice, provoquant un réflexe psychologique pour un électeur lambda afin de prendre un tel bulletin lors d’élections. On peut douter que cela suffise. A ce problème, s’en greffe un autre, celui de la détermination de l’adversaire à combattre. Pour voter pour la gauche, il faut s’opposer à la droite. Or, il n’y a pas de liste de droite à ces élections alençonnaises. LREM ne se dit pas de droite et correspond à une forme politique différente. LREM n’est pas une force de droite mais l’outil de ralliement des tenants du libéralisme et de l’ordre social, par-delà les clivages traditionnels. La FI ne souhaitait pas s’allier au PS après la catastrophe Hollande mais aussi après quarante ans de politique d’alternance. Quant au peuple, ce mot fait peur. Il faudrait même s’en méfier. Il faut donc conserver la démocratie indirecte actuelle. Le NPA a aussi été rencontré. Un accord général semblait possible mais le NPA s’arc-boute pour se définir comme l’aile gauche de la gauche, pour le dire autrement comme le bord extrême de la gauche traditionnelle, rejetée par les masses. Il en concluait qu’une liste sur laquelle il se porterait devrait se revendiquer de ce secteur politique-là. Mais il acceptait de remiser la référence de gauche pour favoriser l’unité. Autre question ardue celle-là que celle concernant le peuple. Ce mot, il faudrait le laisser à l’extrême droite selon le NPA qui est, malgré tout, pour défendre les peuples opprimés mais pas le peuple de France. J’expliquais alors que le peuple devait être pris comme un bloc de classes face à la bourgeoisie et non une multitude d’individualités dissolvant les classes. Mais cette définition n’a pas plu. Le NPA annonçait qu’il ne se présenterait pas seul. Au final, la FI a pris contact avec des Gilets jaunes pour constituer une liste. il y aura donc cinq listes dont trois plus ou moins proches de l’univers élitaire macronien. La liste du maire sortant est clairement LREM (macron officiel), mais il ne faut pas négliger la liste Douvry (macron-compatible) et la liste du député Pueyo (macron-honteux), toutes tournées vers la même base sociale. L’élite locale se réorganise et se réunifie tendanciellement. La concurrence est toute de forme. La question est de savoir qui aura le leadership parmi l’élite locale. Nous voyons un éclatement des anciennes frontières politiques. Le macronisme a siphonné la gauche et une partie de la droite. La bourgeoisie a besoin d’être unie face aux crispations sociales qui ne manquent pas de surgir tout en constatant la fragilité des anciens partis sur lesquels elle ne peut plus se reposer. Le clivage gauche-droite lui a servi pendant des décennies, elle passe à autre chose avec Macron et ses alliés. Quel avenir de la représentation populaire ? La liste estampillée « Gauche Unie, Ecologique et Solidaire » composée de morceaux de la gauche sera tiraillée entre sa volonté d’être critique à l’égard des principales forces politiques et sa volonté d’intégrer la mairie en prenant le risque de s’associer avec le socialo-macroniste honteux Pueyo. Cette liste de la « Gauche unie » porte l’ambiguïté permanente héritée de décennies de pratiques politiques. On se donne un air de gauche puis on en rabat au moment de fusion des listes pour convenir à son allié de toujours. La question du programme passe au second plan après la répartition des sièges à la mairie. Cela suffit ! La FI n’a pu être moteur dans l’élaboration d’une liste, faute d’un réseau militant préalable et conséquent et sans habitude de pratiques électorales. Beaucoup de difficultés que l’équipe de campagne n’a pu surmonter pour arracher les 35 noms nécessaires pour présenter une liste. La FI devrait en tirer des conclusions pour renforcer un courant de sympathie, former les militants, en gagner de nouveaux et proposer des actions concrètes.
Alençon est une petite ville moyenne de 27000 habitants située dans le département de l’Orne, en Normandie. La préparation des élections municipales se déroule dans des conditions inédites. Pour la première fois depuis des décennies, il y aura un nombre étourdissant de listes, six ayant été annoncées. L’élite locale se réorganise en faisant des chassé-croisé entre courants politiques autrefois distingués par le clivage gauche-droite. La situation En 2014, une liste d’union, au second tour, PS/PCF/Alternative citoyenne est élue de justesse. Le maire d’alors, Joaquim Pueyo, devient député en juin 2017 sans investiture du PS et sur une ligne de soutien à la majorité macronienne. Il cède sa place à la mairie à un autre membre du PS, Emmanuel Darcissac. Ce dernier, longtemps membre du PS, soutient la liste LREM aux Européennes 2019 puis a commencé à recevoir des soutiens dans des secteurs politiques de l’opposition de droite tout en voyant le groupe socialiste se fissurer. Reconfiguration de l’élite locale Darcissac reçoit l’investiture LREM dès le mois de juin 2019 pour les municipales 2020, puis des ralliements centristes (UDI) s’opèrent à la suite. De leur côté, Les Républicains se sont indignés du lâchage de l’UDI pour finalement proposer une liste « panpolitique » allant du… PS à LR en passant par des recrutements issus du macronisme. On note également le soutien d’un courant de la droite, AGIR, qui avait participé à la liste... LREM aux Européennes quelques mois plus tôt. L’ancien maire, Joaquim Pueyo, a organisé son retour et annoncé sa candidature à la mairie sur une liste de gauche (mais pas investie par le PS). Il bénéficie de l’apport de ses colistiers de 2014 mais en ayant perdu les 2/3 de ceux d’alors, raccrochés désormais à LREM. Une opposition divisée Une liste Alternative citoyenne, EELV, Génération.S et PCF sera résolument de gauche porte le titre de « Gauche Unie Ecologique et Solidaire ». Signalons encore la liste d’un pharmacien qui était lié à la droite locale et soutenue en sous-main par une partie de LR. La France insoumise avait rencontré le PCF et Alternative citoyenne pour discuter d’une liste commune éventuelle. La FI n’avait pas d’a priori concernant une politique unitaire, hormis le fait d’être d’accord sur le profil politique à défendre auprès des habitants et souhaitait marquer un tournant par rapport aux anciennes pratiques. Deux sujets ont achoppé sur l’union : la tactique électorale au second tour et la relation au peuple. Le PCF est prêt à s’allier au PS sans souci car des « valeurs communes » sont partagées. On s’interrogera sur les valeurs communes déployées par la gauche au pouvoir ! Les commentateurs notent que le clivage gauche-droite est passé au second plan dans les choix politiques, préférant des clivages différents (peuple/élite, nation/mondialisation, etc.). Mais rien n’y fait, l’intitulé choisi (Une Gauche Unie...) suggère que le récent repli identitaire du PCF s’est propagé parmi ses partenaires. Il suffirait de rappeler son identité pour appuyer un vote. Le mot de « gauche » aurait conservé une vertu mobilisatrice, provoquant un réflexe psychologique pour un électeur lambda afin de prendre un tel bulletin lors d’élections. On peut douter que cela suffise. A ce problème, s’en greffe un autre, celui de la détermination de l’adversaire à combattre. Pour voter pour la gauche, il faut s’opposer à la droite. Or, il n’y a pas de liste de droite à ces élections alençonnaises. LREM ne se dit pas de droite et correspond à une forme politique différente. LREM n’est pas une force de droite mais l’outil de ralliement des tenants du libéralisme et de l’ordre social, par-delà les clivages traditionnels. La FI ne souhaitait pas s’allier au PS après la catastrophe Hollande mais aussi après quarante ans de politique d’alternance. Quant au peuple, ce mot fait peur. Il faudrait même s’en méfier. Il faut donc conserver la démocratie indirecte actuelle. Le NPA a aussi été rencontré. Un accord général semblait possible mais le NPA s’arc-boute pour se définir comme l’aile gauche de la gauche, pour le dire autrement comme le bord extrême de la gauche traditionnelle, rejetée par les masses. Il en concluait qu’une liste sur laquelle il se porterait devrait se revendiquer de ce secteur politique-là. Mais il acceptait de remiser la référence de gauche pour favoriser l’unité. Autre question ardue celle-là que celle concernant le peuple. Ce mot, il faudrait le laisser à l’extrême droite selon le NPA qui est, malgré tout, pour défendre les peuples opprimés mais pas le peuple de France. J’expliquais alors que le peuple devait être pris comme un bloc de classes face à la bourgeoisie et non une multitude d’individualités dissolvant les classes. Mais cette définition n’a pas plu. Le NPA annonçait qu’il ne se présenterait pas seul. Au final, la FI a pris contact avec des Gilets jaunes pour constituer une liste. il y aura donc cinq listes dont trois plus ou moins proches de l’univers élitaire macronien. La liste du maire sortant est clairement LREM (macron officiel), mais il ne faut pas négliger la liste Douvry (macron-compatible) et la liste du député Pueyo (macron-honteux), toutes tournées vers la même base sociale. L’élite locale se réorganise et se réunifie tendanciellement. La concurrence est toute de forme. La question est de savoir qui aura le leadership parmi l’élite locale. Nous voyons un éclatement des anciennes frontières politiques. Le macronisme a siphonné la gauche et une partie de la droite. La bourgeoisie a besoin d’être unie face aux crispations sociales qui ne manquent pas de surgir tout en constatant la fragilité des anciens partis sur lesquels elle ne peut plus se reposer. Le clivage gauche-droite lui a servi pendant des décennies, elle passe à autre chose avec Macron et ses alliés. Quel avenir de la représentation populaire ? La liste estampillée « Gauche Unie, Ecologique et Solidaire » composée de morceaux de la gauche sera tiraillée entre sa volonté d’être critique à l’égard des principales forces politiques et sa volonté d’intégrer la mairie en prenant le risque de s’associer avec le socialo-macroniste honteux Pueyo. Cette liste de la « Gauche unie » porte l’ambiguïté permanente héritée de décennies de pratiques politiques. On se donne un air de gauche puis on en rabat au moment de fusion des listes pour convenir à son allié de toujours. La question du programme passe au second plan après la répartition des sièges à la mairie. Cela suffit ! La FI n’a pu être moteur dans l’élaboration d’une liste, faute d’un réseau militant préalable et conséquent et sans habitude de pratiques électorales. Beaucoup de difficultés que l’équipe de campagne n’a pu surmonter pour arracher les 35 noms nécessaires pour présenter une liste. La FI devrait en tirer des conclusions pour renforcer un courant de sympathie, former les militants, en gagner de nouveaux et proposer des actions concrètes.