Militant à Liverpool
Recueil des propos et traduction par Raymond Maillard
Quand as-tu été élue ? Pour combien de temps ?
Le Parti travailliste a gagné le contrôle du conseil municipal de Liverpool en 1983. C’était une époque de crise économique dans le pays mais tout spécialement dans la Merseyside2. La ville avait connu beaucoup de fermetures d’entreprises et de grandes luttes pour tenter de les empêcher. De plus, à la fin des années 1970 nous avions connu l’ « hiver du mécontentement » pendant lequel les travailleurs municipaux avaient mené une grande grève, pendant laquelle les morts n’étaient pas enterrés et les ordures pas ramassées. Cette lutte s’est finie en impasse, mais les travailleurs ont obtenu 14 % d’augmentation de salaire et gagnèrent une compréhension de leur force collective. Cette section de travailleurs était la clef de nos campagnes. En 1979 Thatcher devint premier ministre. Elle était déterminée à briser les syndicats, à réduire les dépenses du gouvernement, à privatiser tout ce qu’elle pouvait et à briser le pouvoir des collectivités locales. Il y avait une vraie pauvreté dans la ville de Liverpool, mais aussi une tradition de solidarité. Les autres villes ressentaient davantage la pauvreté parce que les traditions de compter les uns sur les autres étaient oubliées. Nous savions comment contourner les pires horreurs, sans baisser les bras en quelque sorte. Les communautés noire et chinoise de Liverpool sont installées depuis très longtemps et très discriminées. Des émeutes à Liverpool (les émeutes de Toxtheth3 en 1981) furent complexes et profondément ressenties. Nous avons passé une nuit pendant les émeutes avec le dirigeant des organisations noires d’autodéfense pour occuper leurs locaux dans l’éventualité d’une attaque de la police. Notre camarade Pauline Dunlop, une infirmière et conseillère municipale a été la première à intervenir quand une camionnette de police lancée dans la foule pour la disperser a tué un homme handicapé, David Moore. Nous avions quelques opposants dans la communauté noire, à la suite de l’envoi d’un permanent travailliste noir de Londres, talentueux, nommé Sam Bond. D’autres opposants incluaient l’aile Kinnock du Parti travailliste et des militants plus âgés influencés par l’église catholique. Le comité de district du Parti travailliste était devenu le principal point d’ancrage pour la définition de la politique des conseillers municipaux. Dans d’autres villes ils étaient autonomes. A Liverpool, toutes les section locales du parti et tous les syndicats envoyaient des délégués au comité de district. Se tenait également un congrès annuel de tous les délégués pour définir la politique du parti. Il y avait d’excellents. conseillers de gauche et un brillant député en la personne d’Eric Heffer, lui-même travailleur manuel de métier. En 1983 notre camarade Terry Fields a été élu député (complètement à contre-courant de la tendance nationale), ainsi qu’Eddie Loyden, qui travaillait sur le port et était une autre grande figure de gauche. Bob Parry, un autre député travailliste de gauche, était aussi un allié. Pour comprendre la manière dont travaillait Militant, il est important de prendre en compte la longue tradition de gauche de la ville et au sein du conseil municipal. Des gens de gauche ou des partisans de Militant étaient à la tête de la plupart des sections du Parti travailliste. Avant 1983 le conseil municipal était contrôlé par les Libéraux. Une longue lutte au sein du Parti travailliste avait été gagnée par la gauche et tous ses conseillers municipaux acceptaient de soutenir une plateforme incluant le refus des coupes budgétaires, des pertes d’emplois et de services publics, la promesse de construction de 1 000 logements municipaux et la création de 1 000 emplois. Nous avons toujours dit que celà allait conduire à une contreoffensive, jamais que nous ferions des choses pour les gens comme des sortes de bienfaiteurs. Ca a toujours été présenté comme une lutte contre le gouvernement conservateur. Je suis devenue conseillère en 1984, pour mettre en oeuvre une réforme majeure des écoles et choisie parce que j’étais la secrétaire politique et l’organisatrice du comité de district du Parti travailliste. Un siège a été vacant et j’ai remporté l’élection partielle4.
Au niveau national, le Parti travailliste était lui même pris dans une lutte entre sa gauche et sa droite. Malheureusement, la droite gagna sous Kinnock. Ils n’avaient pas l’intention de se confronter au capitalisme ou de résister à Thatcher. L’aile droite du Parti travailliste avait une politique appelée le « bouclier cabossé » et consistant à expliquer aux électeurs qu’ils faisaient une politique de coupes budgétaires contre leur gré.
Quand as-tu rejoins la tendance Militant ?
En 1970. A ce point, c’est davantage un groupe de discussion. Il a grossi en taille et en influence dans la ville à travers des groupes de discussion, des fractions dans les syndicats et les sections travaillistes et des liens complexes avec les luttes internationales, spécialement en Afrique du Sud et au Chili. Une équipe de jeunes travaillaient pour Militant sur la ville, avec des salaires très bas voire inexistants. Ils travaillèrent très dur et furent importants pour construire la lutte, à la fois au sein du conseil municipal et dans les grèves. Je voulais plus de permanents pour le Comité de district du Parti travailliste mais j’étais toujours en concurrence avec les gens travaillant pour l’appareil de Militant. Il y a un récit selon lequel Militant dirigeait dans le détail la lutte, avec Peter Taafe discutant quotidiennement avec Tony Mulhearn et Derek Hatton. C’était beaucoup plus compliqué de ça. Nous avions des désaccords internes et des divergences également sur la question de Liverpool. Un autre facteur clef a été les Jeunes Socialistes du Parti Travailliste5. Il y avait deux cent jeunes socialistes avec beaucoup d’énergie et d’élan. Quand une grève des lycéens se déclencha en 1985, nous fûmes émerveillés par le taux de participation. Un des gros problèmes était nos relations avec quelques organisations noires. Nous avons appointé quelqu’un d’extérieur pour être directeur des relations raciales du conseil municipal.
Quelles politiques ont elles été mises en œuvre ?
outes les promesses électorales ont été tenues. Même la plus petite d’entre elles. Nous n’avons pas fait de coupes budgétaires, nous avons créé plus de 1 000 emplois, nous avons construit des milliers de maisons municipales de bonne qualité, avec des jardins devant et derrière, régénéré des secteurs entiers de la ville, créé un grand parc urbain, ouvert des centres sportifs et combattu le gouvernement. Nous avons combattu politiquement le gouvernement et la première année il a fait marche arrière et nous a donné de l’argent.
Avec quels résultats ?
Les gens ont répondu magnifiquement. Les membres du Parti travailliste ont fait campagne au porte-à-porte, ainsi que certains syndicats qui ont fait de même. Nous avons tenu des réunions publiques, de grandes réunions du Comité de district avec des centaines de délégués et travaillé étroitement avec les mineurs de la région qui étaient en grève. Ce sont les plus pauvres des habitants de Liverpool qui ont donné le plus aux mineurs, en argent comme en nourriture. Mon quartier (le secteur de la ville que je représentais) Speke, a soutenu le puits Point of Ayr pendant la grève avec une collecte hebdomadaire sur le marché, les mineurs et les conseillers collectant ensemble dans la rue. La 5e section du syndicat GMB (jardiniers, fossoyeurs et garde municipale) adopta un puits et envoyaient jusqu’à 1 000 livres par semaine (réunies par de petits dons hebdomadaires) à ce puits, parfois plus à Noël. Leurs adhérents donnèrent d’une semaine et demie à deux semaines de salaire aux mineurs tout au long de la grève. Les manifestations de soutien en notre faveur furent énormes. Les ouvriers municipaux ont travaillé avec nous à chaque étape du chemin. La seconde année de lutte, nous avons essayé de travailler avec d’autres autorités municipales. Elles avaient un plan avec lequel nous étions en désaccord mais auquel nous nous sommes soumis. Cette politique était de « retarder un taux ». Celà signifiait ne pas établir de budget pour qu’il n’inclue pas de réductions. L'un après l'autre, les autres conseils ont cédé, laissant Liverpool et Lambeth (à Londres) seuls contre le gouvernement, mais sur un slogan stupide. Le simple fait de refuser de couper aurait été un argument plus solide. Nous avons été surtaxés pour le retard dans la fixation du taux, sur la base d'un montant notionnel que nous aurions gagné en intérêts auprès des banques si nous avions réglé plus tôt et si le gouvernement avait accordé une subvention à la banque. Nous avons réussi à ne pas faire de coupes par de nombreuses tactiques différentes, notamment en vendant des hypothèques détenues par le conseil à une banque japonaise. Cela n'a fait aucune différence pour les personnes qui avaient les hypothèques mais nous a fait gagner du temps. La tactique la plus difficile a été d'émettre des avis de licenciement à chaque employé du conseil.
Chaque syndicat a été consulté et tout le monde savait que personne ne serait licencié, mais cela a donné du temps (90 jours selon la loi) pour équilibrer les comptes. Lors d'un enterrement récemment, j'ai rencontré l'officier en chef du conseil de l'époque. Il a dit qu'il était convaincu que le Conseil ferait faillite, mais que conseiller Tony Byrne6 avait toujours une longueur d'avance et l'a empêché. La construction de maisons a continué sans relâche tout au long de notre mandat et encore un peu après.
Pourquoi et comment les conseillers ont été expulsés ?
Il y a deux processus ici : les conseillers ont été démis de leurs fonctions par le gouvernement, dans le cadre d'un processus appelé « surtaxe », et le Parti travailliste national a expulsé certains d'entre nous, Tony Mulhearn, Derek Hatton Pauline et moi-même au motif que nous étions au Militant. Alors que notre affaire au Conseil a été portée devant les tribunaux, j’étais diffamée à la télévision nationale dans le but de me faire exclure du parti travailliste. Je me suis présentée à nouveau pour l'élection au conseil. J'ai gagné avec une excellente majorité. Je me souviens avoir parlé à un homme qui s'est tiré de sous la voiture qu'il réparait pour dire : "Je sais ce que vous faites et je vous soutiens pleinement. C'est votre travail de combattre le gouvernement comme le mien de réparer la voiture ! Je voterais à nouveau pour vous. " Lorsque nous avons été surtaxés, l'amende était énorme. Cela aurait facilement pu mettre tous les conseillers en faillite, ce qui signifie que ceux d'entre nous qui possédaient des maisons les auraient perdues et certains auraient perdu leurs qualifications professionnelles. C'était le cas des conseillers travailleurs du bâtiment, mais ils travaillaient rarement à Liverpool parce qu'ils étaient sur liste noire. Mais ce qui s'est passé, c’est qu'un fonds a été créé pour payer l'amende. Nous avons demandé aux supporters 50 pence par semaine et pas plus, mais nous avons pu lever près d'un demi-million de livres sur une longue période. Lorsque nous avons finalement payé le dernier morceau, il restait des fonds, que nous avons donnés aux dockers de Liverpool lors de leur longue grève de 1995 à 1998.
Pourquoi les travaillistes ont-ils perdu les élections suivantes ?
Nous n'avons pas perdu les élections qui ont suivi notre destitution. Un deuxième groupe de conseillers de gauche a été élu et a mené une campagne de non-respect de la Poll Tax. Certains plans de régénération urbaine se sont poursuivis. Cependant, le Parti travailliste du district a été dissous, l'aile droite a pris le contrôle organisationnel du Parti travailliste et finalement le Conseil s'est divisé. Essayer de mener une politique de «bouclier cabossé» à Liverpool n'allait jamais marcher. L’adhésion et l’activité au parti ont diminué, et finalement les Libéraux ont repris le contrôle du conseil. Après la Poll Tax, la défaite de Liverpool et des mineurs et le rôle épouvantable que le Labour avait joué, Militant a décidé de créer un parti séparé, qui n'a jamais vraiment fonctionné.
Quelles leçons tires-tu de cette expérience ?
Que les gens répondent au courage et à la détermination. Que les discussions et les débats construisent le mouvement. Qu'aucune quantité de discussion entre socialistes ne peut remplacer les mouvements de la classe elle-même, que les idées de socialisme et de solidarité sont puissantes. Que vous devez vous battre pour vos idées en termes de théorie, de stratégie et de tactique. Que la propagande dans les maisons, dans les écoles et les parcs dure des décennies. Qu'une bannière propre, intacte de trahison, conserve son pouvoir d’attraction.
1 - Félicity est porte parole de l’organisation Left Unity et membre du Workers’ international network
2 - Région situé autour de la rivière Mersey, grand fleuve qui se jette dans la mer d’Irlande à Liverpool (NDT).
3 - Quartier populaire du centre ville.
4 - En Grande Bretagne, chaque conseiller municipal est élu dans une circonscription.
5 - Organisation de jeunesse du Labour Party.
6 - Décédé en 2018, il a été une force majeure dans la mise en œuvre de la stratégie de régénération urbaine. Cela signifiait la construction de milliers de logements sociaux, de centres sportifs.