« Ken le Rouge » et le Conseil du Grand Londres
Quand les révolutionnaires dirigeaient des métropoles
Ken Livingstone est un jeune homme de 23 ans quand il adhère au Parti travailliste, en 1968. Et malgré ce choix, il fait clairement partie de la même génération politique que ceux qui rejoignent à la même époque les groupes révolutionnaires, en particulier de tradition trotskyste. Les affinités sont fortes et il n’hésitera pas à s’appuyer sur eux tout au long de sa carrière. Dynamique et activiste, Livingstone devient rapidement conseiller municipal et élu d’opposition au conseil du Grand Londres. Il développe méthodiquement une stratégie de prise de pouvoir de la gauche dans le parti, avec en ligne de mire la conquête de la municipalité. Pour ce faire, Ken Livingstone constitue un organisme ad-hoc, la Campagne Socialiste pour une Victoire du Parti travailliste qui édite le journal hebdomadaire Socialist Organiser. Le comité éditorial de Socialist Organiser réunit des membres de plusieurs groupes révolutionnaires et des personnalités indépendantes comme Jeremy Corbyn ou Livingstone lui-même. Les conservateurs s’affolent et mettent en garde contre une prise de contrôle de Londres par les marxistes, ce qui pourrait leur fournir un tremplin pour mettre en difficultés Thatcher. Changeant de circonscription pour se présenter dans le centre de Londres, Livingstone l’emporte en mai 1981. Il en est de même pour les travaillistes à l’échelle de tout le Grand Londres, même si c’est avec une marge étroite. Leur leader, le très modéré Andrew McIntosh ne va pas profiter longtemps de sa victoire… Dès le lendemain de l’élection, lors d’une réunion du groupe des élus travaillistes, Livingstone se porte candidat et le bat par 30 voix contre 20, prenant la tête du conseil municipal. Le choc est immédiat avec les conservateurs et en particulier la presse populaire de droite qui trouve a Livingstone son surnom de « Ken le Rouge ». Le Financial Times s’inquiète et Margaret Thatcher déclare que les militants de gauche complotaient « pour imposer à cette nation une tyrannie que les peuple d’Europe de l’Est aspiraient à rejeter ». Une des principales promesses électorales de Ken Livingstone était la diminution du prix des transports urbains, en particulier le métro, suivie d’un gel au niveau le plus bas possible. L’idée était ainsi d’inciter un maximum de londoniens à utiliser les transports en commun. En octobre 1981, la municipalité du Grand Londres annonce une diminution de 32 % des tarifs de transport londoniens, financée partiellement par une hausse de la taxe foncière. Les élus conservateurs portent immédiatement l’affaire en justice, initiant une bataille judiciaire qui s’achève à la Chambre de Lords par une défaite de la municipalité. Ken Livingstone dénonce alors une décision politique et son adjoint aux transports qualifie les Lords de « vandales en hermine ». Concernant l’emploi, l’équipe municipale crée un organisme dédié, financé par les fonds du conseil, ceux du fond de pension des employés municipaux et un appel aux marchés financiers. Mais les résultats sont maigres, la bureaucratie municipale entravant les projets. D’autres mesures importantes sont également mises en échec par le gouvernement central. On pense à la tentative de stopper la vente des logements sociaux municipaux. Quant à la tentative de baisser d’un tiers le prix des repas dans les cantines scolaires elle prend fin avec un avis juridique selon lequel les conseillers municipaux devraient payer la différence sur leurs deniers personnels et seraient démis de leurs fonctions. L'administration Livingstone prend une position ferme sur la question du désarmement nucléaire, proclamant Londres "zone dénucléarisée". Le 20 mai 1981, le conseil stoppe ses dépenses annuelles d'un million de livres sterling pour les plans de défense contre la guerre nucléaire. Il rend public les noms des 3 000 hommes politiques et hauts fonctionnaires qui figuraient sur la liste des personnes à mettre à l’abris en cas de frappe nucléaire sur Londres. Thatcher réplique par une campagne de propagande virulente sur la menace soviétique. Ken Livingstone crée trois nouveaux départements au sein de l’administration municipale : un pour les minorités ethniques, un pour la police (en laquelle il n’a aucune confiance) dirigé par un noir et un pour les homosexuels. Les associations de défense des femmes, des handicapés, des homosexuels, des prostituées, voient leurs subventions passer de 6 à 50 millions de livres. En retour des attaques très virulentes sont déclenchées par la presse à scandale, celle-ci dénonçant la « gauche cinglée ». Livingstone refuse d’assister au mariage du Prince de Galles et de Lady Di. Il multiplia les prises de positions scandaleuses pour l’establishment, de la fourniture de café du Nicaragua sandiniste à l’utilisation de l’imprimerie du Workers Revolutionary Party pour éditer le magazine municipal. Il organise une rencontre officielle avec Gerry Adams, président du Sinn Fein irlandais, branche politique d’une IRA qui multiplie alors les attentats. C’est aussi la période de la grande grève de la faim des prisonniers de l’IRA, que Thatcher laisse mourir en refusant leurs revendications. La haine du pouvoir central envers Livingstone est alors totale et il a beaucoup d’ennemis au sein même du Parti travailliste. Mais il n’hésite pas à utiliser la télévision pour élargir son auditoire, avec succès. Les gens aiment sa franchise, son sens de l’autodérision, son style direct et sa politique de baisse des tarifs publics. Trop c’est trop. Pour en finir avec « Ken le Rouge », Thatcher décide d’employer les grands moyens en dissolvant la structure administrative du Grand Londres. 11 millions de livres sont dépensées dans une campagne de propagande pour faire accepter l’idée. Mais Livingstone contre attaque, gagnant l’opinion et étant même soutenu par une grève de 24h des 20 000 employés municipaux. Ca ne suffira pas. En juin 1984, un vote du Parlement acte la dissolution du Conseil du Grand Londres. Ken Livingstone, lui, écrit alors un livre intitulé « si voter changeait quoi que ce soit, ils l’interdiraient ».