A propos de la laïcité
Le texte suivant est la transcription de l’intervention de Raymond Maillard, rédacteur en chef de Militant, à la table ronde sur la laïcité lors de la fête des Insoumis de l’agglomération rouennaise qui s’est tenue le 30 septembre 2018 à Saint Léger du Bourg Denis. Les autres intervenants étaient Francis Parny (orateur national de la France Insoumise), Jean-Louis Aurigny (association pour la libre pensée) et Francis Vanhée (CREAL76).
Pour commencer, je vais dire un mot sur Militant. C’est une revue marxiste qui existe depuis une dizaine d’années et qui a fait le choix depuis un an maintenant de se prononcer pour un soutien explicite à la France insoumise et de s’intégrer dans son combat (applaudissements).
Alors moi je ne suis pas du tout un spécialiste de la laïcité sur un plan théorique mais je vais essayer de faire ressortir quelques éléments. J’ai regardé les chiffres sur la pratique religieuse en France. [S’adressant à Francis Parny] Tu faisais référence à la sortie de Jean-Luc Mélenchon qui disait « foutez nous la paix avec ça ». Et il a dit ça aussi, et il avait raison, parce qu’en France nous avons 60 % des gens qui ne se sentent pas concernés par la religion. A un moment donné le débat public devient insupportable pour eux et je me sens solidaire. Le débat médiatique met au premier plan des choses qui effacent la question sociale comme tu l’as dit [s’adressant à Francis Parny] et qui ne concernent pas les gens et qui ne les préoccupent pas. Pour donner le chiffre précis, il y a en France 29 % d’athées convaincus, 34 % d’agnostiques (c’est à dire de gens qui croient qu’il y a une puissance supérieure quelque part mais qui n’ont pas de pratique religieuse) et puis 37 % de gens qui se considèrent comme croyants. Il y a un autre élément qu’il faut prendre en compte, toujours sur ce même plan, c’est que le nombre de croyants en France est en recul constant. Il y a un institut américain que vous connaissez peut-être et qui s’appelle l’institut Gallup. Il mêne des enquêtes d’opinions aux Etats Unis bien sûr, mais aussi tous les cinq ans sur le plan international. Il n’y a pas tous les pays parce qu’il lui manque un bon bout de l’Afrique, même s’il y a quand même l’Afrique du nord et celle du sud. Néanmoins il y a quand même plus de cinquante pays qui sont concernés par cette enquête, qui incluent l’Arabie Saoudite, l’Afghanistan, etc. Et Gallup sort des chiffres sur la pratique religieuse. Pour la France en 2005, il y avait encore 58 % des gens qui se déclaraient croyants dans cette enquête d’opinion. C’est à dire que vous avez un recul de 21 % entre 2005 et 2014, la dernière enquête. C’est tout à fait considérable. Pour un pays réputé religieux comme les Etats Unis d’Amérique, vous avez quand même un recul de 13 %, au Canada de 12 %, etc. Et donc en réalité la situation générale dans laquelle on se trouve, à l’échelle française mais aussi à l’échelle planétaire, c’est une situation de recul des religions. Je n’ai pas les chiffres ici, vous regarderez sur internet, mais évidemment il y a une corrélation, à quelques exceptions près, entre le revenu des gens et leur adhésion à des conceptions religieuses. Alors, il y a une grosse exception à ce schéma c’est la Chine, dont le revenu par habitant est très faible mais qui est le pays du monde qui en proportion a le plus grand nombre d’athées déclarés. Ca doit dépasser les 60 %. Après, à l’intérieur de ce groupe des croyants, vous avez des gens qui ne pratiquent pas. 57 % des catholiques ne vont jamais à la messe. 31 % des musulmans ne vont jamais dans une mosquée quelle que soit l’occasion.
Dans ce sens là, concernant la France, la question de la laïcité au sens de la possibilité qu’il y ait un retour en arrière sur la question de la séparation de l’église et de l’Etat, c’est à dire que l’église récupère ses prérogatives antérieures à 1905 me parait relever de la science fiction. C’est un scénario hautement improbable.
Est-ce à dire qu’il n’y a pas de problème ?
Moi j’identifie quand même deux problèmes principaux.
Le premier c’est la poussée du courant libéral, c’est-à-dire du développement des thèses du multiculturalisme et du relativisme culturel. Evidemment qui va inclure ce que les canadiens, qui sont extrêmement libéraux, appellent les « accommodements raisonnables » avec les religions. Une certaine tendance aussi à confondre laïcité et oecuménisme. C’est à dire penser qu’à partir du moment où on met tout le monde sur le même plan, alors c’est pas grave, on peut associer les religieux.
Le deuxième problème évidemment et je suis quand même étonné parce que le mot n’est arrivé qu’à la troisième intervention, c’est le problème du développement du fondamentalisme religieux. Et pas de n’importe quel fondamentalisme, dans les quartiers populaires et dans les couches populaires du pays. Première chose, la montée de l’évangélisme, dont on parle peu parce qu’il n’y a pas d’expression politique, ni d’expression militaire, si je peux me permettre le terme, mais qui est tout à fait massif. Ensuite ça se répartit sur des bases ethniques. Moi je connais bien la ville de Gennevilliers. Dans la ville de Gennevilliers où autrefois c’est les communistes qui faisaient le porte à porte, aujourd’hui les Témoins de Jéovah et les Tablight musulmans se partagent les cages d’escaliers en fonction des noms qui sont affichés sur les boites aux lettres. Et nous avons l’intersection de cette radicalisation religieuse avec des phénomènes de ghettoïsation sociale et spatiale qui provoque l’émergence du fondamentalisme musulman dont chacun voit les ravages. Et nous l’avons tous découvert, même ceux qui connaissaient très bien les milieux populaires pour des raisons politiques, personnelles ou professionnelles ont été surpris par l’ampleur de cette radicalisation, sa brutalité et le nombre de gens qui sont concernés, qui est extrêmement considérable.
Alors, que faire ?
Il y a plusieurs choses.
Sur le plan international, il est important de soutenir partout les démocrates et je pense en particulier aux opposants au fanatisme religieux porté par des Etats comme l’Arabie saoudite - à laquelle la France vend des armes pour aller ensuite bombarder les yéménites -, la Turquie évidemment - ça a été évoqué lors des débats de cet après midi à propos du Kurdistan et du Moyen Orient - ou un pays comme l’Iran.
Vis à vis de l’Etat, je pense que nous serons tous d’accord, il est important de s’opposer à toute velléité de glisser du modèle républicain, qui en réalité n’a jamais existé à l’état chimiquement pur, mais en tous cas tel qu’il est représenté, ne serait-ce que dans l’inconscient collectif et peut-être dans les textes, vers des formes de communautarisme de multiculturalisme, etc. Et puis bien sûr les revendications traditionnelles concernant les problèmes antérieurs qui étaient liés au poids de l’église catholique. J’insiste pas trop sur l’église catholique parce que ça donne un peu l’impression de tirer sur les ambulances.
Et puis il faut régler les contradictions au sein du peuple. Parce qu’on a des contradictions au sein du camp, enfin des forces sociales que nous souhaitons pouvoir fédérer. Donc ça veut dire qu’il y a une bataille culturelle qui est à mener contre l’obscurantisme religieux. Et cette bataille culturelle, c’est là que moi je trouve mes limites par rapport au mouvement laïque tel qu’il s’exprime traditionnellement, elle ne peut pas se mener dans des formes d’entre soi. Elle ne peut se mener qu’à travers des actions de travail dans les quartiers populaires. Et pour cela nous avons sur quoi nous appuyer. Parce que, si on prend l’exemple du fondamentalisme musulman, il y a des traditions nationales-culturelles dans le monde arabo-berbère qui peuvent être un point d’appui formidable. Dernier point et j’en conclue. Il faut cesser la complaisance qui à vis des courants idéologiques qui prônent le relativisme culturel, les affirmations communautaires, etc. Et ça ne n’est pas simple, parce que nous sommes concernés nous mêmes. C’est à dire qu’au sein de ce qu’il est convenu d’appeler la gauche, nous trouvons des forces politiques qui par opportunisme, par fatigue, par instrumentalisation politique, peu importe, sont dans l’adhésion à ces thèses sur le relativisme culturel. Et ces thèses sont tout à fait mortifères parce qu’au bout d’un moment les gens finissent par se haïr entre eux. On ajoute les divisions aux divisions. L’opposition des mémoires collectives aux autres mémoires collectives. Sans oublier l’introduction des questions raciales maintenant qui émerge.
Par conséquent, il faut réaffirmer la question sociale comme question centrale et fondamentale du combat politique que nous pouvons mener. Pour cela je pense que nous avons quand même des atouts. Moi j’ai été très frappé, c’était pendant la campagne présidentielle 2012, par le discours de Marseille de Jean-Luc Mélenchon. Et là il avait réussi à avoir une approche englobante et à donner des perspectives universalistes aux gens. Ce n’est que par le développement de ces perspectives universalistes qu’on pourra lutter sur le long terme contre le repli sur soi identitaire et religieux (applaudissements).
1 - https://sidmennt.is/wp-content/uploads/Gallup-International-um-trú-og-trúleysi-2012.pdf
2 - http://geoconfluences.ens-lyon.fr/actualites/veille/breves/pratique-religieuse-france
3 - http://www.jean-luc-melenchon.fr/2012/04/14/discours-sur-les-plages-du-prado-a-marseille/comment-page-3/
Pour commencer, je vais dire un mot sur Militant. C’est une revue marxiste qui existe depuis une dizaine d’années et qui a fait le choix depuis un an maintenant de se prononcer pour un soutien explicite à la France insoumise et de s’intégrer dans son combat (applaudissements).
Alors moi je ne suis pas du tout un spécialiste de la laïcité sur un plan théorique mais je vais essayer de faire ressortir quelques éléments. J’ai regardé les chiffres sur la pratique religieuse en France. [S’adressant à Francis Parny] Tu faisais référence à la sortie de Jean-Luc Mélenchon qui disait « foutez nous la paix avec ça ». Et il a dit ça aussi, et il avait raison, parce qu’en France nous avons 60 % des gens qui ne se sentent pas concernés par la religion. A un moment donné le débat public devient insupportable pour eux et je me sens solidaire. Le débat médiatique met au premier plan des choses qui effacent la question sociale comme tu l’as dit [s’adressant à Francis Parny] et qui ne concernent pas les gens et qui ne les préoccupent pas. Pour donner le chiffre précis, il y a en France 29 % d’athées convaincus, 34 % d’agnostiques (c’est à dire de gens qui croient qu’il y a une puissance supérieure quelque part mais qui n’ont pas de pratique religieuse) et puis 37 % de gens qui se considèrent comme croyants. Il y a un autre élément qu’il faut prendre en compte, toujours sur ce même plan, c’est que le nombre de croyants en France est en recul constant. Il y a un institut américain que vous connaissez peut-être et qui s’appelle l’institut Gallup. Il mêne des enquêtes d’opinions aux Etats Unis bien sûr, mais aussi tous les cinq ans sur le plan international. Il n’y a pas tous les pays parce qu’il lui manque un bon bout de l’Afrique, même s’il y a quand même l’Afrique du nord et celle du sud. Néanmoins il y a quand même plus de cinquante pays qui sont concernés par cette enquête, qui incluent l’Arabie Saoudite, l’Afghanistan, etc. Et Gallup sort des chiffres sur la pratique religieuse. Pour la France en 2005, il y avait encore 58 % des gens qui se déclaraient croyants dans cette enquête d’opinion. C’est à dire que vous avez un recul de 21 % entre 2005 et 2014, la dernière enquête. C’est tout à fait considérable. Pour un pays réputé religieux comme les Etats Unis d’Amérique, vous avez quand même un recul de 13 %, au Canada de 12 %, etc. Et donc en réalité la situation générale dans laquelle on se trouve, à l’échelle française mais aussi à l’échelle planétaire, c’est une situation de recul des religions. Je n’ai pas les chiffres ici, vous regarderez sur internet, mais évidemment il y a une corrélation, à quelques exceptions près, entre le revenu des gens et leur adhésion à des conceptions religieuses. Alors, il y a une grosse exception à ce schéma c’est la Chine, dont le revenu par habitant est très faible mais qui est le pays du monde qui en proportion a le plus grand nombre d’athées déclarés. Ca doit dépasser les 60 %. Après, à l’intérieur de ce groupe des croyants, vous avez des gens qui ne pratiquent pas. 57 % des catholiques ne vont jamais à la messe. 31 % des musulmans ne vont jamais dans une mosquée quelle que soit l’occasion.
Dans ce sens là, concernant la France, la question de la laïcité au sens de la possibilité qu’il y ait un retour en arrière sur la question de la séparation de l’église et de l’Etat, c’est à dire que l’église récupère ses prérogatives antérieures à 1905 me parait relever de la science fiction. C’est un scénario hautement improbable.
Est-ce à dire qu’il n’y a pas de problème ?
Moi j’identifie quand même deux problèmes principaux.
Le premier c’est la poussée du courant libéral, c’est-à-dire du développement des thèses du multiculturalisme et du relativisme culturel. Evidemment qui va inclure ce que les canadiens, qui sont extrêmement libéraux, appellent les « accommodements raisonnables » avec les religions. Une certaine tendance aussi à confondre laïcité et oecuménisme. C’est à dire penser qu’à partir du moment où on met tout le monde sur le même plan, alors c’est pas grave, on peut associer les religieux.
Le deuxième problème évidemment et je suis quand même étonné parce que le mot n’est arrivé qu’à la troisième intervention, c’est le problème du développement du fondamentalisme religieux. Et pas de n’importe quel fondamentalisme, dans les quartiers populaires et dans les couches populaires du pays. Première chose, la montée de l’évangélisme, dont on parle peu parce qu’il n’y a pas d’expression politique, ni d’expression militaire, si je peux me permettre le terme, mais qui est tout à fait massif. Ensuite ça se répartit sur des bases ethniques. Moi je connais bien la ville de Gennevilliers. Dans la ville de Gennevilliers où autrefois c’est les communistes qui faisaient le porte à porte, aujourd’hui les Témoins de Jéovah et les Tablight musulmans se partagent les cages d’escaliers en fonction des noms qui sont affichés sur les boites aux lettres. Et nous avons l’intersection de cette radicalisation religieuse avec des phénomènes de ghettoïsation sociale et spatiale qui provoque l’émergence du fondamentalisme musulman dont chacun voit les ravages. Et nous l’avons tous découvert, même ceux qui connaissaient très bien les milieux populaires pour des raisons politiques, personnelles ou professionnelles ont été surpris par l’ampleur de cette radicalisation, sa brutalité et le nombre de gens qui sont concernés, qui est extrêmement considérable.
Alors, que faire ?
Il y a plusieurs choses.
Sur le plan international, il est important de soutenir partout les démocrates et je pense en particulier aux opposants au fanatisme religieux porté par des Etats comme l’Arabie saoudite - à laquelle la France vend des armes pour aller ensuite bombarder les yéménites -, la Turquie évidemment - ça a été évoqué lors des débats de cet après midi à propos du Kurdistan et du Moyen Orient - ou un pays comme l’Iran.
Vis à vis de l’Etat, je pense que nous serons tous d’accord, il est important de s’opposer à toute velléité de glisser du modèle républicain, qui en réalité n’a jamais existé à l’état chimiquement pur, mais en tous cas tel qu’il est représenté, ne serait-ce que dans l’inconscient collectif et peut-être dans les textes, vers des formes de communautarisme de multiculturalisme, etc. Et puis bien sûr les revendications traditionnelles concernant les problèmes antérieurs qui étaient liés au poids de l’église catholique. J’insiste pas trop sur l’église catholique parce que ça donne un peu l’impression de tirer sur les ambulances.
Et puis il faut régler les contradictions au sein du peuple. Parce qu’on a des contradictions au sein du camp, enfin des forces sociales que nous souhaitons pouvoir fédérer. Donc ça veut dire qu’il y a une bataille culturelle qui est à mener contre l’obscurantisme religieux. Et cette bataille culturelle, c’est là que moi je trouve mes limites par rapport au mouvement laïque tel qu’il s’exprime traditionnellement, elle ne peut pas se mener dans des formes d’entre soi. Elle ne peut se mener qu’à travers des actions de travail dans les quartiers populaires. Et pour cela nous avons sur quoi nous appuyer. Parce que, si on prend l’exemple du fondamentalisme musulman, il y a des traditions nationales-culturelles dans le monde arabo-berbère qui peuvent être un point d’appui formidable. Dernier point et j’en conclue. Il faut cesser la complaisance qui à vis des courants idéologiques qui prônent le relativisme culturel, les affirmations communautaires, etc. Et ça ne n’est pas simple, parce que nous sommes concernés nous mêmes. C’est à dire qu’au sein de ce qu’il est convenu d’appeler la gauche, nous trouvons des forces politiques qui par opportunisme, par fatigue, par instrumentalisation politique, peu importe, sont dans l’adhésion à ces thèses sur le relativisme culturel. Et ces thèses sont tout à fait mortifères parce qu’au bout d’un moment les gens finissent par se haïr entre eux. On ajoute les divisions aux divisions. L’opposition des mémoires collectives aux autres mémoires collectives. Sans oublier l’introduction des questions raciales maintenant qui émerge.
Par conséquent, il faut réaffirmer la question sociale comme question centrale et fondamentale du combat politique que nous pouvons mener. Pour cela je pense que nous avons quand même des atouts. Moi j’ai été très frappé, c’était pendant la campagne présidentielle 2012, par le discours de Marseille de Jean-Luc Mélenchon. Et là il avait réussi à avoir une approche englobante et à donner des perspectives universalistes aux gens. Ce n’est que par le développement de ces perspectives universalistes qu’on pourra lutter sur le long terme contre le repli sur soi identitaire et religieux (applaudissements).
1 - https://sidmennt.is/wp-content/uploads/Gallup-International-um-trú-og-trúleysi-2012.pdf
2 - http://geoconfluences.ens-lyon.fr/actualites/veille/breves/pratique-religieuse-france
3 - http://www.jean-luc-melenchon.fr/2012/04/14/discours-sur-les-plages-du-prado-a-marseille/comment-page-3/