Marie-Pascale Chevance Bertin
« Je n’ai pas renoncé à ce que je crois juste »
- Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je suis psychanalyste née a Paris en 1948. Je suis née après la guerre dans une famille de résistants. Mon père, le général Chevance Bertin avait organisé avec d’autres les premiers réseaux de résistance dans le sud de la France, à Marseille. Nommé général à 34 ans par de Gaulle et fait compagnon de la Libération, ma mère fut une des femmes les plus décorées de France, très tôt cet esprit m’a marquée, et certainement influencé mes engagements futurs.
- Peux-tu parler de ton rapport à l’Argentine ?
A 19 ans je me suis installée en Argentine le pays de mon premier mari, Norman Briski, acteur et homme de théâtre. J’ai eu la chance deux ans plus tard d’accompagner Norman à Cuba car il avait été invité par La Casa de las Americas, prestigieuse institution culturelle pour être juré du prix de la Casa pour le théâtre.
Ce voyage a été certainement le tournant le plus important de ma vie. Je suis restée deux mois et me suis liée d’amitié avec Eduardo Galéano écrivain urugayen auteur « Des veines ouvertes d’Amérique latine » ainsi qu’avec Mario Benedetti, Edouard Glissant, Ernesto Cardenal, Carlos Onetti, Roque Dalton, Margareth Randall, Roberto Fernandez Retamar et RodolfoWalsh écrivain et journaliste argentin assassiné par la dictature militaire argentine en 1977.
Pourquoi un tournant décisif ? Pour une jeune femme de 21 ans, française, étudiante en psychologie, découvrir l’Amérique latine en côtoyant des intellectuels aussi profondément humains et engagés , ce fut une révélation absolue, plus rien ne serait comme avant.
- Quel est le point de départ de ton engagement en politique ?
À mon retour en Argentine, grâce a Rodolfo Walsh, j’ai commencé à militer dans les villas miserias, les bidonvilles. Nous avons fondé avec Norman et d’autres camarades un groupe de théâtre populaire, le groupe Octobre. Nous avions un camping car et avons parcouru l’Argentine dans les coins les plus reculés organisant des spectacles de théâtre politique avec les habitants des quartiers. Nous faisions partie d’une organisation politique, Montoneros qui prônait la construction du socialisme et qui avait une branche armée dont nous ne faisions pas partie, tout en soutenant à cette époque la nécessité de la lutte armée pour lutter contre le capitalisme et promouvoir la révolution. En 1974 un groupe paramilitaire les trois A qui sévissait sous la présidence d’Isabelle Peron , en séquestrant et tuant jour après jour les opposants au régime, nous a condamné publiquement à mort. Aussi avons-nous dû quitter lArgentine en 24 heures. Nous ne pourrons revenir que 10 ans plus tard. Nous nous sommes réfugiés au Pérou, et avons eu la chance de pouvoir rester 4 mois près du Machu Pichu pour tourner un film, Kuntur Wachana (que l’on peut voir sur youtube), qui relate la lutte menée par les paysans quechuas pour reprendre leurs terres que « les gamonales », les propriétaires terriens, leur avaient volées. Période passionnante et très dure car en exil et dans la vallée sacrée des Incas à 3000 mètres d’altitude, nous vivions dans des conditions très difficiles. Côtoyer jour et nuit les indiens quechuas dont nous partagions la vie a été un grand enseignement d’humilité et d’amour et de respect pour la Pachamama, notre terre nourricière. Notre exil s’est poursuivi d’une autre façon au Mexique, où de nombreux exilés commençaient à arriver, au Vénézuela, un passage en France où j’ai participé, à l’approche du coup d’État militaire à la formation du CAIS, le Comité Argentin d’Information et Solidarité , un organisme de dénonciation des atrocités commises en Argentine, puis après le coup d’État du 24 mars 1976 et la mort du général Franco, nous nous sommes installés à Madrid.
La période espagnole a été très féconde. L’Espagne, après 40 ans de dictature, explosait culturellement et politiquement, de nombreux exilés latino-américains venaient s’y réfugier. J’ai commencé à exercer la psychanalyse dans un cabinet avec d’autres analystes exilés. Nous avons fondé un comité de solidarité espagnol. J’ai été nommée à la commission de relations extérieures des Montoneros pour représenter l’organisation à l’Internationale Socialiste, j’ai été nommée coordinatrice des différentes organisations latino américaines, le MIR chilien, les Tupamaros urugayens,
l’ERP argentin et Montoneros. Je suis retournée a Cuba en relation avec le département Amériques du Comité Central du Parti communiste cubain. Nous avons d’abord été dans les couloirs de l’Internationale socialiste, comme tant d’autres tels l’OLP et le Polisario, puis acceptés comme observateurs. Une promotion ! Nous avons obtenu la première condamnation contre la dictature en 1977 appuyés par le chancelier Kreiski, François Miterrand, Willy Brandt, Shimon Peres et Olaf Palme, entre autres. Ce fut une grande victoire !
Fin 1978 j’ai pris mes distances avec l’organisation Montoneros en désaccord avec une stratégie que je considérais suicidaire, qui était de promouvoir le retour des militants en Argentine, les conditions de sécurité étant désastreuses.
Les militants se faisant prendre les uns après les autres aux frontières. J’ai eu l’opportunité de pouvoir passer une semaine dans un camp palestinien au Liban, ce qui a déterminé mon combat pour la défense des droits du peuple palestinien. Je fais partie des organisations AFPS et CAPJPO.
J’ai continué à militer dans les comités de soutien et à organiser des consultations gratuites avec des collègues argentins et espagnols pour les militants exilés.
- Et maintenant ?
Je suis rentrée en France en 1980. J’ai représenté les disparus argentins à la Commission des Droits de l’Homme du ministère des affaires étrangères, et ai commencé à collaborer avec l’association des Grands mères de la Place Mai
dans la recherche de leurs petits enfants volés par des militaires ou policiers. En 1993, grâce à mon amitié avec Didier Motchane , fondateur du CERES, j’ai adhéré au Mouvement des Citoyens et ai activement milité pour dénoncer le
traité de Maastricht.
En 1994 j’ai fondé La Commission de Défense des enfants d’Amérique latine avec des personnalités de différents pays d’Amérique Latine, qui oeuvrait pour organiser un tribunal qui puisse être un recours pour toutes les maltraitances
faites aux enfants. Malheureusement ce projet , après des années de travail n’a pu voir le jour. J’ai adhéré à La France Insoumise et participé à la campagne présidentielle de Jean Luc Mélenchon. Je soutiens les gilets jaunes et suis membre d’ATTAC depuis peu.
Le programme l’Avenir en Commun est un projet de société fort et cohérent. Je suis une militante anticapitaliste. Pour moi, le néolibéralisme est un ennemi redoutable, le pouvoir des grandes multinationales est fortement établi, mais
nous ne devons pas renoncer à ce qui nous constitue: la construction d’un monde plus juste, vivable pour tous et respectueux de la Pachamama comme disent les indiens quechuas. L’avancée du néolibéralisme est féroce, mais la résistance des peuples est sans limite. Je ne suis pas dans un monde qui me donne de la joie, mais ce qui me donne de la joie, c’est que je n’ai absolument pas renoncé à ce que je crois juste. En écrivant ces lignes je me rends compte qu’à aucun moment je n’ai douté, malgré les nombreuses défaites, que la construction de la patrie socialiste doit toujours me guider. Je relis Rosa Luxembourg avec la même conviction. Mais aujourd’hui, dans une société qui prône la compétitivité, l’individualisme, la finance toute puissante, la consommation à outrance quelle influence pouvons nous avoir ?
- Que penses-tu du bulletin Militant et du rôle qu’il pourrait jouer dans la période qui s’ouvre ?
La revue Le Militant, par son existence contribue à l’actualité de la pensée marxiste,
penser est un acte révolutionnaire, continuons, il y a de quoi faire !!!!!!!!
Je suis psychanalyste née a Paris en 1948. Je suis née après la guerre dans une famille de résistants. Mon père, le général Chevance Bertin avait organisé avec d’autres les premiers réseaux de résistance dans le sud de la France, à Marseille. Nommé général à 34 ans par de Gaulle et fait compagnon de la Libération, ma mère fut une des femmes les plus décorées de France, très tôt cet esprit m’a marquée, et certainement influencé mes engagements futurs.
- Peux-tu parler de ton rapport à l’Argentine ?
A 19 ans je me suis installée en Argentine le pays de mon premier mari, Norman Briski, acteur et homme de théâtre. J’ai eu la chance deux ans plus tard d’accompagner Norman à Cuba car il avait été invité par La Casa de las Americas, prestigieuse institution culturelle pour être juré du prix de la Casa pour le théâtre.
Ce voyage a été certainement le tournant le plus important de ma vie. Je suis restée deux mois et me suis liée d’amitié avec Eduardo Galéano écrivain urugayen auteur « Des veines ouvertes d’Amérique latine » ainsi qu’avec Mario Benedetti, Edouard Glissant, Ernesto Cardenal, Carlos Onetti, Roque Dalton, Margareth Randall, Roberto Fernandez Retamar et RodolfoWalsh écrivain et journaliste argentin assassiné par la dictature militaire argentine en 1977.
Pourquoi un tournant décisif ? Pour une jeune femme de 21 ans, française, étudiante en psychologie, découvrir l’Amérique latine en côtoyant des intellectuels aussi profondément humains et engagés , ce fut une révélation absolue, plus rien ne serait comme avant.
- Quel est le point de départ de ton engagement en politique ?
À mon retour en Argentine, grâce a Rodolfo Walsh, j’ai commencé à militer dans les villas miserias, les bidonvilles. Nous avons fondé avec Norman et d’autres camarades un groupe de théâtre populaire, le groupe Octobre. Nous avions un camping car et avons parcouru l’Argentine dans les coins les plus reculés organisant des spectacles de théâtre politique avec les habitants des quartiers. Nous faisions partie d’une organisation politique, Montoneros qui prônait la construction du socialisme et qui avait une branche armée dont nous ne faisions pas partie, tout en soutenant à cette époque la nécessité de la lutte armée pour lutter contre le capitalisme et promouvoir la révolution. En 1974 un groupe paramilitaire les trois A qui sévissait sous la présidence d’Isabelle Peron , en séquestrant et tuant jour après jour les opposants au régime, nous a condamné publiquement à mort. Aussi avons-nous dû quitter lArgentine en 24 heures. Nous ne pourrons revenir que 10 ans plus tard. Nous nous sommes réfugiés au Pérou, et avons eu la chance de pouvoir rester 4 mois près du Machu Pichu pour tourner un film, Kuntur Wachana (que l’on peut voir sur youtube), qui relate la lutte menée par les paysans quechuas pour reprendre leurs terres que « les gamonales », les propriétaires terriens, leur avaient volées. Période passionnante et très dure car en exil et dans la vallée sacrée des Incas à 3000 mètres d’altitude, nous vivions dans des conditions très difficiles. Côtoyer jour et nuit les indiens quechuas dont nous partagions la vie a été un grand enseignement d’humilité et d’amour et de respect pour la Pachamama, notre terre nourricière. Notre exil s’est poursuivi d’une autre façon au Mexique, où de nombreux exilés commençaient à arriver, au Vénézuela, un passage en France où j’ai participé, à l’approche du coup d’État militaire à la formation du CAIS, le Comité Argentin d’Information et Solidarité , un organisme de dénonciation des atrocités commises en Argentine, puis après le coup d’État du 24 mars 1976 et la mort du général Franco, nous nous sommes installés à Madrid.
La période espagnole a été très féconde. L’Espagne, après 40 ans de dictature, explosait culturellement et politiquement, de nombreux exilés latino-américains venaient s’y réfugier. J’ai commencé à exercer la psychanalyse dans un cabinet avec d’autres analystes exilés. Nous avons fondé un comité de solidarité espagnol. J’ai été nommée à la commission de relations extérieures des Montoneros pour représenter l’organisation à l’Internationale Socialiste, j’ai été nommée coordinatrice des différentes organisations latino américaines, le MIR chilien, les Tupamaros urugayens,
l’ERP argentin et Montoneros. Je suis retournée a Cuba en relation avec le département Amériques du Comité Central du Parti communiste cubain. Nous avons d’abord été dans les couloirs de l’Internationale socialiste, comme tant d’autres tels l’OLP et le Polisario, puis acceptés comme observateurs. Une promotion ! Nous avons obtenu la première condamnation contre la dictature en 1977 appuyés par le chancelier Kreiski, François Miterrand, Willy Brandt, Shimon Peres et Olaf Palme, entre autres. Ce fut une grande victoire !
Fin 1978 j’ai pris mes distances avec l’organisation Montoneros en désaccord avec une stratégie que je considérais suicidaire, qui était de promouvoir le retour des militants en Argentine, les conditions de sécurité étant désastreuses.
Les militants se faisant prendre les uns après les autres aux frontières. J’ai eu l’opportunité de pouvoir passer une semaine dans un camp palestinien au Liban, ce qui a déterminé mon combat pour la défense des droits du peuple palestinien. Je fais partie des organisations AFPS et CAPJPO.
J’ai continué à militer dans les comités de soutien et à organiser des consultations gratuites avec des collègues argentins et espagnols pour les militants exilés.
- Et maintenant ?
Je suis rentrée en France en 1980. J’ai représenté les disparus argentins à la Commission des Droits de l’Homme du ministère des affaires étrangères, et ai commencé à collaborer avec l’association des Grands mères de la Place Mai
dans la recherche de leurs petits enfants volés par des militaires ou policiers. En 1993, grâce à mon amitié avec Didier Motchane , fondateur du CERES, j’ai adhéré au Mouvement des Citoyens et ai activement milité pour dénoncer le
traité de Maastricht.
En 1994 j’ai fondé La Commission de Défense des enfants d’Amérique latine avec des personnalités de différents pays d’Amérique Latine, qui oeuvrait pour organiser un tribunal qui puisse être un recours pour toutes les maltraitances
faites aux enfants. Malheureusement ce projet , après des années de travail n’a pu voir le jour. J’ai adhéré à La France Insoumise et participé à la campagne présidentielle de Jean Luc Mélenchon. Je soutiens les gilets jaunes et suis membre d’ATTAC depuis peu.
Le programme l’Avenir en Commun est un projet de société fort et cohérent. Je suis une militante anticapitaliste. Pour moi, le néolibéralisme est un ennemi redoutable, le pouvoir des grandes multinationales est fortement établi, mais
nous ne devons pas renoncer à ce qui nous constitue: la construction d’un monde plus juste, vivable pour tous et respectueux de la Pachamama comme disent les indiens quechuas. L’avancée du néolibéralisme est féroce, mais la résistance des peuples est sans limite. Je ne suis pas dans un monde qui me donne de la joie, mais ce qui me donne de la joie, c’est que je n’ai absolument pas renoncé à ce que je crois juste. En écrivant ces lignes je me rends compte qu’à aucun moment je n’ai douté, malgré les nombreuses défaites, que la construction de la patrie socialiste doit toujours me guider. Je relis Rosa Luxembourg avec la même conviction. Mais aujourd’hui, dans une société qui prône la compétitivité, l’individualisme, la finance toute puissante, la consommation à outrance quelle influence pouvons nous avoir ?
- Que penses-tu du bulletin Militant et du rôle qu’il pourrait jouer dans la période qui s’ouvre ?
La revue Le Militant, par son existence contribue à l’actualité de la pensée marxiste,
penser est un acte révolutionnaire, continuons, il y a de quoi faire !!!!!!!!