Contre le dévoiement de la lutte contre l’antisémitisme
Courrier adressé à la rédaction de la revue L’Histoire
Par Jérôme Partage
Madame la Directrice de la Rédaction,
Lecteur de longue date de votre revue (depuis mes années d’études à la faculté d’histoire d’Aix-en-Provence, dans les années 90, où l’empreinte laissée par Georges Duby était encore fraîche), j’ai ouvert avec un grand intérêt votre numéro spécial intitulé « L’antisémitisme en France ».
Mais d’emblée, l’entretien avec Pierre Birnbaum, mené par Michel Winock, m’a stupéfait par les raccourcis grossiers qu’il opère entre l’antisémitisme et la contestation de la politique de Monsieur Macron, de sa personne et des élites qui l’entourent. En quoi rappeler le passage de Monsieur Macron par la banque Rothschild relèverait-il en soi d’une allusion antisémite ? Ce point dans la biographie de Monsieur Macron n’est pas souligné par ses opposants en raison du patronyme « Rothschild » (malgré l’historique que vous rappelez dans ce numéro) mais parce qu’il est caractéristique de l’ensemble de son parcours au sein des élites politiques et économiques françaises, tel que le décrit très bien le récent ouvrage des sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, Le Président des ultra-riches.
Autre argument visant dans cet entretien à assimiler anti-macronisme et antisémitisme, à propos de la déclaration de François Ruffin, appelant le président de la République à la démission, au lendemain de l’ « Acte III » des Gilets Jaunes. Avec une mauvaise foi sidérante, Pierre Birnbaum feint d’ignorer que lorsque le député de la Somme avertissait que Monsieur Macron allait « finir comme Kennedy » il rapportait des paroles de colère, entendues sur les ronds-points et dans les manifestations, et que bien loin d’approuver cette rage populaire, il expliquait avoir tenté de la tempérer, de la raisonner. S’il est normal que L’Histoire laisse un intervenant extérieur exprimer librement son point de vue, la complaisance de son intervieweur, Michel Winock, cofondateur de la revue, est problématique.
Elle n’est certes pas surprenante, car dès votre n°456 de février 2019, Michel Winock signait un premier article à charge sur le mouvement des Gilets Jaunes. Il récidive, de façon presque subliminale, dans ce numéro spécial, avec son article sur « Les ambiguïtés de la gauche » (auquel je souscris par ailleurs) lequel contient une photo de Jean-Luc Mélenchon (sans rapport direct avec l’article) dont la légende met en exergue « l’atermoiement » de la France Insoumise sur sa participation au rassemblement du 19 février 2019 « contre l’antisémitisme » (il serait plus utile de se mobiliser « contre les antisémites » !), suite à l’injustifiable agression verbale dont a été victime Alain Finkielkraut de la part d’un « gilet jaune » portant les stigmates de l’Islam radical (les éléments antisémites repérables au sein du mouvement, en particulier les amateurs de « quenelle », restant extrêmement marginaux dans les cortèges, je peux en témoigner). J’en conclus donc à vous lire que s’interroger sur la possible récupération politique par le pouvoir de ce rassemblement (alors que les Gilets Jaunes bénéficiaient à cette époque d’un soutien massif de l’opinion publique) est en soi encore un aveu d’antisémitisme.
En tant qu’historien de formation, je trouve pour le moins légère la façon qu’a une revue scientifique sérieuse, comme L’Histoire, d’appréhender un mouvement social sans précédent par sa nature et sa durée (pour ce qui est de sa portée, nous verrons). Il me semblait que l’histoire immédiate méritait davantage de précautions et certainement pas une approche partisane.
En tant que citoyen, que Gilet Jaune – car je suis solidaire de ce mouvement depuis son commencement (bien qu’appartenant à cette classe moyenne qui paraît fort privilégiée face aux 9 millions de pauvres que compte notre pays) –, je trouve navrant ce mépris de classe dont vous témoignez ici, celui d’une élite bien-pensante (une élite intellectuelle et culturelle, en l’occurrence), mais qui se sentant remise en cause, menacée par un mouvement populaire qui lui est étranger, incompréhensible dans son expression, très éloignée des codes de bienséance universitaire, se complait à relayer le discours dominant, comme n’importe quelle chaîne d’information en continu propriété d’un oligarque ami du pouvoir.
Enfin l’antisémitisme, réalité dramatique de notre société abîmée par des décennies de crise économique, la perte de repères politiques et l’enracinement de l’Islam radical (à ce titre, je salue votre entretien avec Pierre-André Taguieff), nécessite qu’on le combatte avec lucidité.
Cordialement,
Jérôme Partage
Madame la Directrice de la Rédaction,
Lecteur de longue date de votre revue (depuis mes années d’études à la faculté d’histoire d’Aix-en-Provence, dans les années 90, où l’empreinte laissée par Georges Duby était encore fraîche), j’ai ouvert avec un grand intérêt votre numéro spécial intitulé « L’antisémitisme en France ».
Mais d’emblée, l’entretien avec Pierre Birnbaum, mené par Michel Winock, m’a stupéfait par les raccourcis grossiers qu’il opère entre l’antisémitisme et la contestation de la politique de Monsieur Macron, de sa personne et des élites qui l’entourent. En quoi rappeler le passage de Monsieur Macron par la banque Rothschild relèverait-il en soi d’une allusion antisémite ? Ce point dans la biographie de Monsieur Macron n’est pas souligné par ses opposants en raison du patronyme « Rothschild » (malgré l’historique que vous rappelez dans ce numéro) mais parce qu’il est caractéristique de l’ensemble de son parcours au sein des élites politiques et économiques françaises, tel que le décrit très bien le récent ouvrage des sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, Le Président des ultra-riches.
Autre argument visant dans cet entretien à assimiler anti-macronisme et antisémitisme, à propos de la déclaration de François Ruffin, appelant le président de la République à la démission, au lendemain de l’ « Acte III » des Gilets Jaunes. Avec une mauvaise foi sidérante, Pierre Birnbaum feint d’ignorer que lorsque le député de la Somme avertissait que Monsieur Macron allait « finir comme Kennedy » il rapportait des paroles de colère, entendues sur les ronds-points et dans les manifestations, et que bien loin d’approuver cette rage populaire, il expliquait avoir tenté de la tempérer, de la raisonner. S’il est normal que L’Histoire laisse un intervenant extérieur exprimer librement son point de vue, la complaisance de son intervieweur, Michel Winock, cofondateur de la revue, est problématique.
Elle n’est certes pas surprenante, car dès votre n°456 de février 2019, Michel Winock signait un premier article à charge sur le mouvement des Gilets Jaunes. Il récidive, de façon presque subliminale, dans ce numéro spécial, avec son article sur « Les ambiguïtés de la gauche » (auquel je souscris par ailleurs) lequel contient une photo de Jean-Luc Mélenchon (sans rapport direct avec l’article) dont la légende met en exergue « l’atermoiement » de la France Insoumise sur sa participation au rassemblement du 19 février 2019 « contre l’antisémitisme » (il serait plus utile de se mobiliser « contre les antisémites » !), suite à l’injustifiable agression verbale dont a été victime Alain Finkielkraut de la part d’un « gilet jaune » portant les stigmates de l’Islam radical (les éléments antisémites repérables au sein du mouvement, en particulier les amateurs de « quenelle », restant extrêmement marginaux dans les cortèges, je peux en témoigner). J’en conclus donc à vous lire que s’interroger sur la possible récupération politique par le pouvoir de ce rassemblement (alors que les Gilets Jaunes bénéficiaient à cette époque d’un soutien massif de l’opinion publique) est en soi encore un aveu d’antisémitisme.
En tant qu’historien de formation, je trouve pour le moins légère la façon qu’a une revue scientifique sérieuse, comme L’Histoire, d’appréhender un mouvement social sans précédent par sa nature et sa durée (pour ce qui est de sa portée, nous verrons). Il me semblait que l’histoire immédiate méritait davantage de précautions et certainement pas une approche partisane.
En tant que citoyen, que Gilet Jaune – car je suis solidaire de ce mouvement depuis son commencement (bien qu’appartenant à cette classe moyenne qui paraît fort privilégiée face aux 9 millions de pauvres que compte notre pays) –, je trouve navrant ce mépris de classe dont vous témoignez ici, celui d’une élite bien-pensante (une élite intellectuelle et culturelle, en l’occurrence), mais qui se sentant remise en cause, menacée par un mouvement populaire qui lui est étranger, incompréhensible dans son expression, très éloignée des codes de bienséance universitaire, se complait à relayer le discours dominant, comme n’importe quelle chaîne d’information en continu propriété d’un oligarque ami du pouvoir.
Enfin l’antisémitisme, réalité dramatique de notre société abîmée par des décennies de crise économique, la perte de repères politiques et l’enracinement de l’Islam radical (à ce titre, je salue votre entretien avec Pierre-André Taguieff), nécessite qu’on le combatte avec lucidité.
Cordialement,
Jérôme Partage