COMBAT LAÏQUE : UNE OCCASION MANQUEE
Samedi 10 février 2018 s’est tenue à Paris la première rencontre nationale de l’appel « lier le combat laïque au combat social, fédérer le peuple »1. Cette initiative tombait à point, dans une période où les forces issues du mouvement ouvrier et socialiste doivent se confronter d’une part à la montée en puissance de courants religieux obscurantistes dans les quartiers populaires mais aussi à la décomposition idéologique d’une partie de la gauche cédant aux sirènes postmodernistes et endossant des thèses ethno-différencialistes, communautaristes, etc.
Pour ne considérer que le camp de la France insoumise, on a vu comment des déclarations pour le moins légères de Clémentine Autain ou de Danièle Obono (toutes deux du mouvement Ensemble) ont pu donner prétexte à des attaques de ses adversaires d’autant plus problématiques qu’elles étaient en partie fondées.
Dans ce contexte, l’appel « lier le combat laïque au combat social, fédérer le peuple » est apparu comme une initiative bienvenue, permettant de faire contrepoids à la gauche kitch, en particulier au sein de la France insoumise, devenue aujourd’hui l’axe de recomposition de tout le champ politique antilibéral et anticapitaliste. C’est à ce titre que plusieurs rédacteurs et amis de Militant y ont apposé leur signature.
D’un point de vue numérique, avec environ 150 participants, la réunion du 10 février a été un franc succès. En terme de soutien, elle a ratissé large, presque trop large serait-on tenté de dire. On a entendu des messages de soutien d’Emmanuel Maurel (PS) et de Christian Favier (PCF) tandis que se succédaient à la tribune des représentants de l’UFAL, de République et socialisme, du Mouvement républicain et Citoyen, de la LICRA, journaliste de Charlie Hebdo etc.
Malgré l’éclectisme du panel, on a entendu des interventions très émouvantes comme celle de l’auteur et journaliste d’origine algérienne Arezki Metref :
« Je suis laïque parce que j’ai vu de près, dans les années 1980 et 1990, les ravages que provoque la religion lorsqu’elle sert de combustible à une occupation totalitaire du terrain politique. Je suis laïque parce que j’ai vu des jeunes en déshérence manipulés par les sergents recruteurs, les poches pleines de dollars des pétromonarchies wahhabites, devenir des machines à tuer au nom d’une épuration morale basée sur un usage hermétique et exclusif du fait religieux »
Lui succédant, Ariane Mnouchkine a su exprimer dans des mots simples et touchants la volonté de ne plus se taire et le regret, qu’on peut partager, d’avoir été trop silencieux quand les démocrates algériens se faisaient massacrer pendant la décennie noire.
Julien Gonthier, jeune secrétaire du syndicat Solidaires industrie, a quant à lui exposé de manière claire et pédagogique la nécessité absolue pour le mouvement revendicatif de réaliser l’unité des salariés au delà de leurs convictions philosophiques ou religieuses.
Riva Gherchanoc, maire adjointe de Montreuil (LFI) a fait une intervention également vivante et concrète, illustrant la manière dont les islamistes menaient une guérilla permanente contre les services publics municipaux avec, par exemple, la revendication d’une séparation des filles et des garçons dans les crèches à l’heure de la sieste !
Danielle Simonnet, intervenant au nom du Parti de gauche, a été comme à son habitude battante et percutante. Sa présence était significative en soi, contrastant avec les errements d’autres composantes de la France insoumise. On regrettera juste qu’elle ait cru bon d’attaquer au passage le Printemps Républicain, de se livrer à une saillie hors propos contre Manuel Valls et de chercher à recueillir l’assentiment des participants en invoquant la question palestinienne, sans rapport avec l’objet de la réunion.
Au moment d’en venir à la conclusion de la rencontre, la tonalité s’est nettement dégradée, s’éloignant sensiblement de celle de l’appel initial. Imperceptiblement, il ne s’agissait plus de « fédérer le peuple » mais de « reconstruire la gauche ». Or, chacun comprend bien que dans la période, ces termes sont devenus antinomiques. Il y a aujourd’hui deux orientations stratégiques contradictoires : la première est de rassembler le plus grand nombre sur un programme permettant d’accéder au pouvoir, la seconde de réunir des débris d’appareils autour du plus petit dénominateur commun pour tenter de ressusciter une formule qui a par ailleurs failli.
On notera qu’à aucun moment la parole n’a été donnée à la salle, y compris quand il s’est agi d’aborder, en conclusion, les propositions pratiques. La dernière intervenante a donc sorti de son chapeau un cycle de « formations » évoquant tout un ensemble de questions, historiques et d’actualité ressemblant furieusement à un programme d’intégration à un groupe d’extrême-gauche.
Le sentiment qui se dégage de la journée du 10 février est donc assez mitigé. Au lieu d’être un point d’appui pour aller au devant de la population, la rencontre a donné l’impression d’avoir voulu faire entrer les présents dans un entonnoir. Un coup pour rien ?
Raymond Maillard
1 - publié dans Militant n°154