Ernesto Cardenal
Par Régis de Castelnau
Ernesto Cardenal a rejoint hier son frère Fernando dans la maison du Père. Enfin, je suppose que c’est comme cela que ce sera présenté dans son homélie funèbre. Pour les avoir rencontrés à Managua, je considérais les frères Cardenal comme des camarades, chez eux on disait « compas » abréviation de compañeros. Contrairement aux deux frères de la chanson ils étaient du même camp. Tous deux ecclésiastiques, armés de la théologie de la libération, ils consacrèrent toute leur vie au peuple de leur pays, le Nicaragua. Ernesto était trappiste et Fernando jésuite (!), prêtres consacrés tous les deux, ils furent également ministres dans le gouvernement sandiniste du Nicaragua après la révolution qui avait renversé Anastasio Somoza dictateur sanguinaire et « fils de pute » officiel des États-Unis. Il existe une photo célébrissime de JeanPaul II refusant de prendre la main d’Ernesto et lui faisant la leçon pour le choix qu’il avait fait de servir son peuple. À l’occasion de ce voyage le même Jean-Paul II avait refusé de donner sa bénédiction aux veuves et aux enfants de combattants sandinistes tués dans les combats contre les « contras » financés et armés par les États-Unis (comme d’habitude). Pour faire bonne mesure Ernesto fut suspendu « a divinis » par le Vatican, suspension levée par François il y a un an… Il n’a pas pu concélébrer de messe avec son frère disparu en 2016. Fernando le jésuite avait été foutu dehors de la Compagnie, puis réintégré… Les jésuites ont toujours été des malins. À preuve pour moi, une anecdote personnelle lorsque j’étais à Managua quelques jours après la visite pénible du pape polonais. Un soir, on me conduisit avec quelques amis dans le plus grand bidonville de Managua devant une grande baraque en tôle surmontée d’une croix. Je fus accueilli par Fernando Cardenal qui nous expliqua que nous allions assister à une messe… Une de mes compagnons résolument athée laïcarde (comme moi), membre du PSU qui existait encore, avait pour principe de ne pas rentrer dans les églises. Elle renâcla disant qu’elle resterait à la porte, mais je pus la convaincre et nous assistâmes alors dans une église pleine à une cérémonie latino chantée absolument sublime. Dans son homélie le prêtre ovationné par l’assemblée nous salua avec une émotion tellement communicative que nos yeux à tous commençaient à piquer. J’avais remarqué au premier rang 17 femmes habillées en noir accompagnées d’enfants de tous âges également vêtus de noir. Je compris pendant l‘homélie qu‘il s’agissait des épouses et des orphelins des tués au combat que le pape avait refusé de bénir. Vint le moment du baiser de paix que désormais les cathos donnent à leurs voisins à un moment de l’office. Mais ce fut pour voir se diriger vers nous la petite cohorte noire, dont les membres, enfants compris, venaient à nous pour nous embrasser. Les yeux humides, jambes flageolantes, et gorge nouée, je n’en menais pas large à l’image de mes compagnons. Et nous vîmes alors notre laïcarde PSU en larmes se diriger résolument vers la table pour recevoir la communion... En saluant Cardenal au moment du départ, je pensais en souriant « ils sont forts les cathos, très forts. Il faut s’en méfier ». Bon, désolé de vous importuner avec ce petit moment de mélancolie, alors que se déroule le formidable combat autour de la cérémonie des César et qu‘il est indispensable de choisir son camp pour le salut de l‘Humanité entre Adèle Haenel et Roman Polanski. C’était juste un petit épanchement nostalgique au souvenir d’une rencontre avec des hommes beaux et bons. Ça existe.
Ernesto Cardenal a rejoint hier son frère Fernando dans la maison du Père. Enfin, je suppose que c’est comme cela que ce sera présenté dans son homélie funèbre. Pour les avoir rencontrés à Managua, je considérais les frères Cardenal comme des camarades, chez eux on disait « compas » abréviation de compañeros. Contrairement aux deux frères de la chanson ils étaient du même camp. Tous deux ecclésiastiques, armés de la théologie de la libération, ils consacrèrent toute leur vie au peuple de leur pays, le Nicaragua. Ernesto était trappiste et Fernando jésuite (!), prêtres consacrés tous les deux, ils furent également ministres dans le gouvernement sandiniste du Nicaragua après la révolution qui avait renversé Anastasio Somoza dictateur sanguinaire et « fils de pute » officiel des États-Unis. Il existe une photo célébrissime de JeanPaul II refusant de prendre la main d’Ernesto et lui faisant la leçon pour le choix qu’il avait fait de servir son peuple. À l’occasion de ce voyage le même Jean-Paul II avait refusé de donner sa bénédiction aux veuves et aux enfants de combattants sandinistes tués dans les combats contre les « contras » financés et armés par les États-Unis (comme d’habitude). Pour faire bonne mesure Ernesto fut suspendu « a divinis » par le Vatican, suspension levée par François il y a un an… Il n’a pas pu concélébrer de messe avec son frère disparu en 2016. Fernando le jésuite avait été foutu dehors de la Compagnie, puis réintégré… Les jésuites ont toujours été des malins. À preuve pour moi, une anecdote personnelle lorsque j’étais à Managua quelques jours après la visite pénible du pape polonais. Un soir, on me conduisit avec quelques amis dans le plus grand bidonville de Managua devant une grande baraque en tôle surmontée d’une croix. Je fus accueilli par Fernando Cardenal qui nous expliqua que nous allions assister à une messe… Une de mes compagnons résolument athée laïcarde (comme moi), membre du PSU qui existait encore, avait pour principe de ne pas rentrer dans les églises. Elle renâcla disant qu’elle resterait à la porte, mais je pus la convaincre et nous assistâmes alors dans une église pleine à une cérémonie latino chantée absolument sublime. Dans son homélie le prêtre ovationné par l’assemblée nous salua avec une émotion tellement communicative que nos yeux à tous commençaient à piquer. J’avais remarqué au premier rang 17 femmes habillées en noir accompagnées d’enfants de tous âges également vêtus de noir. Je compris pendant l‘homélie qu‘il s’agissait des épouses et des orphelins des tués au combat que le pape avait refusé de bénir. Vint le moment du baiser de paix que désormais les cathos donnent à leurs voisins à un moment de l’office. Mais ce fut pour voir se diriger vers nous la petite cohorte noire, dont les membres, enfants compris, venaient à nous pour nous embrasser. Les yeux humides, jambes flageolantes, et gorge nouée, je n’en menais pas large à l’image de mes compagnons. Et nous vîmes alors notre laïcarde PSU en larmes se diriger résolument vers la table pour recevoir la communion... En saluant Cardenal au moment du départ, je pensais en souriant « ils sont forts les cathos, très forts. Il faut s’en méfier ». Bon, désolé de vous importuner avec ce petit moment de mélancolie, alors que se déroule le formidable combat autour de la cérémonie des César et qu‘il est indispensable de choisir son camp pour le salut de l‘Humanité entre Adèle Haenel et Roman Polanski. C’était juste un petit épanchement nostalgique au souvenir d’une rencontre avec des hommes beaux et bons. Ça existe.
Des prêtres rouges en Amérique latine
En 1959, la révolution cubaine contre le dictateur Batista ouvre une période de soulèvements populaires démocratiques et anti-impérialistes dans toute l’Amérique latine. Alors que des régimes militaires existent ou sont établis en réaction dans la plupart de ces pays, sous l’impulsion des USA, ils bénéficient d’un soutien de l’Eglise (Argentine, Brésil, Guatemala, Salvador, etc). L’heure est à la défense de l’ordre contre la menace communiste. Mais dans ces pays misérables, une partie des prêtres ne peut accepter cette solution et cherche dans l’exemple du Christ une voie différente. Certains d’entre eux vont développer une théologie nouvelle, nommée Théologie de la libération. Ils organisent des communautés de base, dans les bidonvilles et les quartiers populaires. Ils développent des thèses « tiers mondistes » incorporant des analyses marxisantes et préconisent le soutien aux mouvements sociaux. En 1968, la Conférence des évêques d’Amérique latine fait le choix prioritaire des pauvres, « engageant l’Église pour le développement intégral de tout l’homme et de tous les hommes vers une libération ». Nombre d’entre eux s’engagent dans la résistance aux dictatures de manière non-violente, comme Don Elder Camara, archevêque de Recife au Brésil, surnommé l’évèque rouge : « Je nourris un pauvre et l’on me dit que je suis un saint. Je demande pourquoi le pauvre n’a pas de quoi se nourrir et l’on me traite de communiste. ». Au Brésil les communautés chrétiennes de base joignent leurs efforts à ceux des syndicalistes pour fonder un grand parti de masse, le Parti des Travailleurs. En Colombie, plusieurs prêtres s’engagent dans les guérillas paysannes. Parmi eux, Camillo Torres, qui meurt au combat en 1966, et Manuel Pérez, qui commande la guérilla de l’ELN (Ejército de Liberación Nacional) au cours des années 1980. Au Salvador, l’archevêque Oscar Romero est tué par des paramilitaires en mars 1980 ; Ignacio Ellacuria et ses cinq collègues jésuites de l’Université centreaméricaine d’El Salvador sont assassinés en novembre 1989 par l’armée gouvernementale. En Argentine, de nombreux prêtres sont torturés à mort sous le régime de Jorge Videla. Au sein de l’Eglise, la théologie de la libération a été violemment combattue par l’Opus Dei, en alliance avec les USA et les dictatures locales. Le Pape JeanPaul II, revenant sur l’élan donné par le concile Vatican II, a condamné la théologie de la libération et marginalisé certains de ses leaders.