Le socialisme et la femme
R. Debord
D’après un exposé fait devant la conférence parisienne du P.S.G. le 10 avril 2016
Notre point de départ est la réfutation, sur la base de l’ensemble des études anthropologiques disponibles, de l’idée selon laquelle la domination des femmes par les hommes serait quelque chose ayant à voir avec la « nature ». Il a existé et il existe encore à l’état résiduel, des sociétés ou des systèmes matriarcaux dans lesquels la position des femmes n’est pas subordonnée. Comme l’a très bien documenté le socialiste allemand Friedrich Engels dans son ouvrage classique « L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat », c’est l’émergence de sociétés de classes qui est à l’origine de l’oppression des femmes.
Avec l’accroissement des richesses, on a assisté à la disparition progressive du système matriarcal. L’émergence de la propriété privée s’accompagne de celle de la famille monogamique. Pour reprendre les mots d’Engels, celle-ci est «fondée sur la domination de l’homme, avec le but exprès de procréer des enfants d’une paternité incontestée... parce que les enfants entreront un jour en possession de la fortune paternelle»1. C’est cette conception de la famille qui, malgré d’extraordinaires évolutions dans la dernière période, demeure encore. On en prendra pour exemple le fait de la présomption de paternité de l’époux dans un couple marié.
Cette conception de la famille a trouvé dans la religion une puissante légitimation. Les Dix Commandements ne s’adressent en réalité qu’à l’homme : la femme y est mentionnée dans le dernier Commandement « comme une pièce de propriété », en même temps que les valets et les animaux domestiques. Mais surtout, le christianisme hait la chair et donne à la femme perçue comme l’éternelle corruptrice de l’homme, une place d’esclave. Il cite ainsi Paul dans son Epître aux Ephésiens : « L’homme est le maître de la femme comme le Christ est le chef de l’Église » ou encore « Il ne faut pas permettre à la femme d’acquérir de l’éducation ou de s’instruire ; qu’elle obéisse, qu’elle serve et se taise ».
Dans l’Islam, l’infériorité de la femme est clairement affirmée sur tous les plans. Si les femmes adultères sont tuées, l’homme lui peut jouir de quatre épouses. L’impureté des femmes leur interdit y compris un certain nombre de pratiques religieuses pendant les règles (jeûne, approche de la Kaaba, lecture ou simple toucher du Coran). Sur le plan juridique, la femme vaut la moitié d’un homme : le témoignage d’un homme vaut celui de deux femmes, la femme hérite de la moitié de ce que perçoit le fils, cinquante chameaux compensent le meurtre d’une femme contre cent celui d’un homme…
Le mariage n’a pas de rapport avec l’amour mais uniquement avec la reproduction dans la perspective de transmission des biens et du capital. C’est la famille qui choisit la femme, formule tombée en désuétude en Europe mais toujours courante dans de nombreux pays, au Maghreb par exemple.
La femme mariée est la gardienne de la maison et doit se soumettre au «devoir conjugal», c’est-à-dire à des rapports sexuels non nécessairement consentis. Cette notion de devoir conjugal est inscrite dans le code civil de 1804 et figure dans la jurisprudence ultérieure. En cas d’absence du domicile conjugal, le mari peut faire appel aux forces de police. Les relations sexuelles sont dues et la violence permise pour les obtenir. Dans le cadre du couple marié, la notion de viol ne s’applique pas s’il s’agit de pénétration vaginale, c’est-à-dire destinée à assurer la reproduction. En France, il faudra attendre 1980 pour qu’une loi reconnaisse le viol entre époux et sa confirmation par un arrêt de la cour de cassation qui n’est survenu qu’en 1992.
La division du travail et la naissance de la société de classe sont concomitantes. Dans ce cadre, les particularités sexuelles des femmes les cantonnent à des activités liées à la reproduction sociale : par la mise au monde et l’élevage des enfants d’une part, par la réalisation des tâches domestiques liées à la reproduction de la force de travail du mari d’autre part. La place de l’homme est dans la production, celle de la femme dans la reproduction. Dans ce cadre, la femme occupe une place soumise, ses activités étant dépendantes de celle de l’homme en tant que producteur. Telle est l’analyse fondamentale de Marx et du socialisme scientifique.
Pour que la femme se libère de sa soumission et acquière l’égalité, le socialisme fixe donc deux objectifs fondamentaux : 1° l’intégration la plus avancée possible de la femme dans la production ; 2° une restriction considérable du travail domestique6.
Friedrich Engels exprime cette idée de manière extrêmement directe : «L’affranchissement de la femme a pour condition première la rentrée de tout le sexe féminin dans l’industrie publique».
Pourtant, la situation concrète des ouvrières est alors catastrophique, comme en témoigne Engels lui-même dans son ouvrage « la condition de la classe laborieuse en Angleterre » (1845). A l’opposé de la position d’Engels on voit s’exprimer celle du socialiste français Henri Tolain, membre de l’Association Internationale des Travailleurs, pour lequel le progrès social consiste à préserver les femmes des horreurs du travail, leur place étant au foyer. La controverse a aussi une dimension économique, certains socialistes craignant que l’entrée des femmes sur le marché du travail ne fasse baisser les salaires.
En 1879 paraît un ouvrage devenu classique sur la question : « La femme et le socialisme », écrit par Auguste Bebel, un dirigeant du Parti Social-Démocrate allemand. Il y reprend l’orientation d’Engels affirmant qu’il « n’est pas douteux qu’avec le développement pris par le travail féminin, les maladies de toute nature, la mortalité des enfants augmentent dans d’effroyables proportions ; malgré tout cela, cette évolution, dans son ensemble, n’en constitue pas moins un progrès».
La même année, l’A.I.T.2 reconnait le droit des femmes au travail. C’est par l’organisation collective qu’il convient de combattre la surexploitation des femmes, le syndicalisme représentant une « nécessité vitale » pour la socialiste allemande Clara Zetkin. Dans le même temps il s’agit d’intensifier la propagande politique, seuls le socialisme et l’appropriation collective des moyens de production pouvant créer les conditions matérielles de l’égalité économique et sociale des femmes.
En 1917, la révolution triomphe en Russie, portée par l’aile gauche du Parti Ouvrier Social-démocrate. C’est un événement d’une portée considérable qui a un retentissement mondial. Sur le plan du statut de la femme, les « bolcheviks » prennent d’emblée des mesures radicales :
- Légalisation du divorce
- Légalisation de l’avortement
- Droit de vote et de se présenter aux élections
- Abolition des lois interdisant la prostitution3 et l’homosexualité
Et encore, pour Lénine «ce n’est pas assez » car « l’égalité devant la loi n’est pas l’égalité devant la vie ». Ce dont il s’agit, c’est de «soustraire la femme à l’esclavage domestique ; la libérer du joug abrutissant et humiliant, éternel et exclusif, de la cuisine et de la chambre des enfants » (Pravda 22 fév. 1920). Pour la dirigeante bolchévik Alexandra Kollontaï, il s’agit pour le nouveau pouvoir non seulement de « modifier la condition féminine » mais de transformer la mentalité des femmes, d’en faire une révoltée «contre les conditions économiques, contre les lois de la morale sexuelle, contre la captivité amoureuse».
Le triomphe de la contre-révolution stalinienne allait malheureusement conduire à un retour progressif aux normes familiales « traditionnelles ».
La marche vers la libération
des femmes
En France comme dans tous les autres pays, l’émancipation de la femme a été liée à leur entrée massive sur le marché du travail. Dans ce sens, le point de vue marxiste s’est trouvé entièrement confirmé.
Au tournant des années 1960-70 un ensemble de facteurs se sont cumulés : déclin de l’église catholique, déclin de la paysannerie et des entreprises familiales, accroissement de la scolarisation et du travail salarié des femmes, montée du mouvement féministe. Une véritable révolution s’opère : En 1965 la femme est autorisée à travailler sans l’autorisation de son mari. En 1967 la loi Neuwirth légalise la contraception3. En 1970 est instaurée l’autorité parentale conjointe4. En cinq ans, l’homme perdait l’autorité sur sa famille et la maîtrise de la procréation.
Aujourd’hui, l’égalité juridique entre hommes et femmes est quasi-totale. Pour autant, l’oppression des femmes n’est pas totalement éradiquée et de sérieux problèmes demeurent, liés à la fois à la persistance de mentalités rétrogrades (chez les hommes mais aussi chez les femmes) et à des insuffisances en matière d’aide de la collectivité concernant principalement la prise en charge des jeunes enfants.
On notera la question des inégalités salariales, les femmes gagnant 9% de moins que les hommes à emploi et expérience équivalents. Mais les conséquences de la maternité (ces-sation temporaire d’emploi, reprise à temps partiel, perte d’ancienneté…) font que les hommes gagnent en moyenne 31 % en plus que les femmes.
Les femmes sont également beaucoup moins investies en politique, pour des raisons tenant aux représentations sociales (elles sont plus présentes dans le secteur associatif) et, encore une fois, au temps disponible. Malgré la parité, qui n’a pas résolu le problème de l’implication dans les organisations, on ne trouvait en 2012 que 27 % de femmes parmi les élus à l’Assemblée nationale.
De manière ouverte ou insidieuse, les femmes sont objets de toutes sortes de violences symboliques ou d’agressions verbales ou physiques à caractère sexiste. Les violences conjugales en sont une des expressions les plus terribles, avec 143 morts en 2014, dont 118 femmes.
Enfin les inégalités perdurent dans le travail domestique5. En moyenne les femmes y consacrent 3h26 par jour, contre 2h pour les hommes. En 10 ans, la durée moyenne quotidienne du travail domestique des femmes a baissé de 20mn, alors que celle des hommes augmentait d’une minute. On voit ici que ce sont des facteurs extérieurs (modes de garde, socialisation ou automation de certaines tâches) qui sont facteurs de progrès, même si celui-ci demeure extrêmement lent.
Actualité du programme socialiste
de gauche
Pour achever l’émancipation des femmes, il est fondamental de créer les conditions matérielles le permettant en transférant sur la collectivité ce qui incombait traditionnellement à la famille.
Malgré les progrès réalisés, tout pas en avant se heurte désormais non seulement aux pressions des forces réactionnaires (catholicisme traditionnaliste, fondamentalisme musulman, extrême-droite) mais aussi aux contraintes budgétaires, c’est-à-dire aux conséquences des politiques économiques et sociales pro-capitalistes.
Sous la présidence Hollande, les gouvernements ont cherché à prendre en compte les évolutions sociales (familles avec des parents non mariés, explosion du nombre de familles monoparentales, familles recomposées, familles homoparentales….) tout en les instituant. On est ainsi prêt à installer un ministère « des familles » au grand dam des conservateurs de « La Manif Pour Tous ». Mais la famille demeure une institution devant jouer le premier rôle dans la solidarité entre personnes et les dispositifs étatiques demeurent subsidiaires.
La question de la mise en œuvre d’un programme permettant l’émancipation des femmes par des politiques publiques visant à les délester du fardeau de la « double journée de travail » demeure d’actualité. Pour prendre un exemple, on peut citer la mise en place d’un service public de la petite enfance, passant par la construction de milliers de crèches aux horaires beaucoup plus larges que ce qu’ils sont aujourd’hui.
L’égalité des femmes n’est pas une fin en soi, mais partie prenante d’un développement progressiste de toute l’humanité. En créant des conditions d’abondance matérielle et culturelle permettant l’éducation des enfants, une société socialiste garantirait également l’égalité de développement pour chacun de ses membres, à commencer par les femmes.
1 - ENGEL Friedrich, Les origines de la famille, de la propriété privée et de l’Etat, [1884]. Consultable sur le site Marxists.org, URL https://www.marxists.org/francais/engels/works/1884/00/fe18840000.htm
2- Association internationale des travailleurs, dite « 1ère internationale »
3 - Loi n° 67-1176 du 28 décembre 1967 relative à la régulation des naissances. En ligne au https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000880754
4 - VERDIER, Pierre, SELLENET, Catherine La nouvelle autorité parentale et les actions de soutien à la parentalité, Berger-Levrault, 2013
5 - http://www.inegalites.fr/spip.php?article245
D’après un exposé fait devant la conférence parisienne du P.S.G. le 10 avril 2016
Notre point de départ est la réfutation, sur la base de l’ensemble des études anthropologiques disponibles, de l’idée selon laquelle la domination des femmes par les hommes serait quelque chose ayant à voir avec la « nature ». Il a existé et il existe encore à l’état résiduel, des sociétés ou des systèmes matriarcaux dans lesquels la position des femmes n’est pas subordonnée. Comme l’a très bien documenté le socialiste allemand Friedrich Engels dans son ouvrage classique « L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat », c’est l’émergence de sociétés de classes qui est à l’origine de l’oppression des femmes.
Avec l’accroissement des richesses, on a assisté à la disparition progressive du système matriarcal. L’émergence de la propriété privée s’accompagne de celle de la famille monogamique. Pour reprendre les mots d’Engels, celle-ci est «fondée sur la domination de l’homme, avec le but exprès de procréer des enfants d’une paternité incontestée... parce que les enfants entreront un jour en possession de la fortune paternelle»1. C’est cette conception de la famille qui, malgré d’extraordinaires évolutions dans la dernière période, demeure encore. On en prendra pour exemple le fait de la présomption de paternité de l’époux dans un couple marié.
Cette conception de la famille a trouvé dans la religion une puissante légitimation. Les Dix Commandements ne s’adressent en réalité qu’à l’homme : la femme y est mentionnée dans le dernier Commandement « comme une pièce de propriété », en même temps que les valets et les animaux domestiques. Mais surtout, le christianisme hait la chair et donne à la femme perçue comme l’éternelle corruptrice de l’homme, une place d’esclave. Il cite ainsi Paul dans son Epître aux Ephésiens : « L’homme est le maître de la femme comme le Christ est le chef de l’Église » ou encore « Il ne faut pas permettre à la femme d’acquérir de l’éducation ou de s’instruire ; qu’elle obéisse, qu’elle serve et se taise ».
Dans l’Islam, l’infériorité de la femme est clairement affirmée sur tous les plans. Si les femmes adultères sont tuées, l’homme lui peut jouir de quatre épouses. L’impureté des femmes leur interdit y compris un certain nombre de pratiques religieuses pendant les règles (jeûne, approche de la Kaaba, lecture ou simple toucher du Coran). Sur le plan juridique, la femme vaut la moitié d’un homme : le témoignage d’un homme vaut celui de deux femmes, la femme hérite de la moitié de ce que perçoit le fils, cinquante chameaux compensent le meurtre d’une femme contre cent celui d’un homme…
Le mariage n’a pas de rapport avec l’amour mais uniquement avec la reproduction dans la perspective de transmission des biens et du capital. C’est la famille qui choisit la femme, formule tombée en désuétude en Europe mais toujours courante dans de nombreux pays, au Maghreb par exemple.
La femme mariée est la gardienne de la maison et doit se soumettre au «devoir conjugal», c’est-à-dire à des rapports sexuels non nécessairement consentis. Cette notion de devoir conjugal est inscrite dans le code civil de 1804 et figure dans la jurisprudence ultérieure. En cas d’absence du domicile conjugal, le mari peut faire appel aux forces de police. Les relations sexuelles sont dues et la violence permise pour les obtenir. Dans le cadre du couple marié, la notion de viol ne s’applique pas s’il s’agit de pénétration vaginale, c’est-à-dire destinée à assurer la reproduction. En France, il faudra attendre 1980 pour qu’une loi reconnaisse le viol entre époux et sa confirmation par un arrêt de la cour de cassation qui n’est survenu qu’en 1992.
La division du travail et la naissance de la société de classe sont concomitantes. Dans ce cadre, les particularités sexuelles des femmes les cantonnent à des activités liées à la reproduction sociale : par la mise au monde et l’élevage des enfants d’une part, par la réalisation des tâches domestiques liées à la reproduction de la force de travail du mari d’autre part. La place de l’homme est dans la production, celle de la femme dans la reproduction. Dans ce cadre, la femme occupe une place soumise, ses activités étant dépendantes de celle de l’homme en tant que producteur. Telle est l’analyse fondamentale de Marx et du socialisme scientifique.
Pour que la femme se libère de sa soumission et acquière l’égalité, le socialisme fixe donc deux objectifs fondamentaux : 1° l’intégration la plus avancée possible de la femme dans la production ; 2° une restriction considérable du travail domestique6.
Friedrich Engels exprime cette idée de manière extrêmement directe : «L’affranchissement de la femme a pour condition première la rentrée de tout le sexe féminin dans l’industrie publique».
Pourtant, la situation concrète des ouvrières est alors catastrophique, comme en témoigne Engels lui-même dans son ouvrage « la condition de la classe laborieuse en Angleterre » (1845). A l’opposé de la position d’Engels on voit s’exprimer celle du socialiste français Henri Tolain, membre de l’Association Internationale des Travailleurs, pour lequel le progrès social consiste à préserver les femmes des horreurs du travail, leur place étant au foyer. La controverse a aussi une dimension économique, certains socialistes craignant que l’entrée des femmes sur le marché du travail ne fasse baisser les salaires.
En 1879 paraît un ouvrage devenu classique sur la question : « La femme et le socialisme », écrit par Auguste Bebel, un dirigeant du Parti Social-Démocrate allemand. Il y reprend l’orientation d’Engels affirmant qu’il « n’est pas douteux qu’avec le développement pris par le travail féminin, les maladies de toute nature, la mortalité des enfants augmentent dans d’effroyables proportions ; malgré tout cela, cette évolution, dans son ensemble, n’en constitue pas moins un progrès».
La même année, l’A.I.T.2 reconnait le droit des femmes au travail. C’est par l’organisation collective qu’il convient de combattre la surexploitation des femmes, le syndicalisme représentant une « nécessité vitale » pour la socialiste allemande Clara Zetkin. Dans le même temps il s’agit d’intensifier la propagande politique, seuls le socialisme et l’appropriation collective des moyens de production pouvant créer les conditions matérielles de l’égalité économique et sociale des femmes.
En 1917, la révolution triomphe en Russie, portée par l’aile gauche du Parti Ouvrier Social-démocrate. C’est un événement d’une portée considérable qui a un retentissement mondial. Sur le plan du statut de la femme, les « bolcheviks » prennent d’emblée des mesures radicales :
- Légalisation du divorce
- Légalisation de l’avortement
- Droit de vote et de se présenter aux élections
- Abolition des lois interdisant la prostitution3 et l’homosexualité
Et encore, pour Lénine «ce n’est pas assez » car « l’égalité devant la loi n’est pas l’égalité devant la vie ». Ce dont il s’agit, c’est de «soustraire la femme à l’esclavage domestique ; la libérer du joug abrutissant et humiliant, éternel et exclusif, de la cuisine et de la chambre des enfants » (Pravda 22 fév. 1920). Pour la dirigeante bolchévik Alexandra Kollontaï, il s’agit pour le nouveau pouvoir non seulement de « modifier la condition féminine » mais de transformer la mentalité des femmes, d’en faire une révoltée «contre les conditions économiques, contre les lois de la morale sexuelle, contre la captivité amoureuse».
Le triomphe de la contre-révolution stalinienne allait malheureusement conduire à un retour progressif aux normes familiales « traditionnelles ».
La marche vers la libération
des femmes
En France comme dans tous les autres pays, l’émancipation de la femme a été liée à leur entrée massive sur le marché du travail. Dans ce sens, le point de vue marxiste s’est trouvé entièrement confirmé.
Au tournant des années 1960-70 un ensemble de facteurs se sont cumulés : déclin de l’église catholique, déclin de la paysannerie et des entreprises familiales, accroissement de la scolarisation et du travail salarié des femmes, montée du mouvement féministe. Une véritable révolution s’opère : En 1965 la femme est autorisée à travailler sans l’autorisation de son mari. En 1967 la loi Neuwirth légalise la contraception3. En 1970 est instaurée l’autorité parentale conjointe4. En cinq ans, l’homme perdait l’autorité sur sa famille et la maîtrise de la procréation.
Aujourd’hui, l’égalité juridique entre hommes et femmes est quasi-totale. Pour autant, l’oppression des femmes n’est pas totalement éradiquée et de sérieux problèmes demeurent, liés à la fois à la persistance de mentalités rétrogrades (chez les hommes mais aussi chez les femmes) et à des insuffisances en matière d’aide de la collectivité concernant principalement la prise en charge des jeunes enfants.
On notera la question des inégalités salariales, les femmes gagnant 9% de moins que les hommes à emploi et expérience équivalents. Mais les conséquences de la maternité (ces-sation temporaire d’emploi, reprise à temps partiel, perte d’ancienneté…) font que les hommes gagnent en moyenne 31 % en plus que les femmes.
Les femmes sont également beaucoup moins investies en politique, pour des raisons tenant aux représentations sociales (elles sont plus présentes dans le secteur associatif) et, encore une fois, au temps disponible. Malgré la parité, qui n’a pas résolu le problème de l’implication dans les organisations, on ne trouvait en 2012 que 27 % de femmes parmi les élus à l’Assemblée nationale.
De manière ouverte ou insidieuse, les femmes sont objets de toutes sortes de violences symboliques ou d’agressions verbales ou physiques à caractère sexiste. Les violences conjugales en sont une des expressions les plus terribles, avec 143 morts en 2014, dont 118 femmes.
Enfin les inégalités perdurent dans le travail domestique5. En moyenne les femmes y consacrent 3h26 par jour, contre 2h pour les hommes. En 10 ans, la durée moyenne quotidienne du travail domestique des femmes a baissé de 20mn, alors que celle des hommes augmentait d’une minute. On voit ici que ce sont des facteurs extérieurs (modes de garde, socialisation ou automation de certaines tâches) qui sont facteurs de progrès, même si celui-ci demeure extrêmement lent.
Actualité du programme socialiste
de gauche
Pour achever l’émancipation des femmes, il est fondamental de créer les conditions matérielles le permettant en transférant sur la collectivité ce qui incombait traditionnellement à la famille.
Malgré les progrès réalisés, tout pas en avant se heurte désormais non seulement aux pressions des forces réactionnaires (catholicisme traditionnaliste, fondamentalisme musulman, extrême-droite) mais aussi aux contraintes budgétaires, c’est-à-dire aux conséquences des politiques économiques et sociales pro-capitalistes.
Sous la présidence Hollande, les gouvernements ont cherché à prendre en compte les évolutions sociales (familles avec des parents non mariés, explosion du nombre de familles monoparentales, familles recomposées, familles homoparentales….) tout en les instituant. On est ainsi prêt à installer un ministère « des familles » au grand dam des conservateurs de « La Manif Pour Tous ». Mais la famille demeure une institution devant jouer le premier rôle dans la solidarité entre personnes et les dispositifs étatiques demeurent subsidiaires.
La question de la mise en œuvre d’un programme permettant l’émancipation des femmes par des politiques publiques visant à les délester du fardeau de la « double journée de travail » demeure d’actualité. Pour prendre un exemple, on peut citer la mise en place d’un service public de la petite enfance, passant par la construction de milliers de crèches aux horaires beaucoup plus larges que ce qu’ils sont aujourd’hui.
L’égalité des femmes n’est pas une fin en soi, mais partie prenante d’un développement progressiste de toute l’humanité. En créant des conditions d’abondance matérielle et culturelle permettant l’éducation des enfants, une société socialiste garantirait également l’égalité de développement pour chacun de ses membres, à commencer par les femmes.
1 - ENGEL Friedrich, Les origines de la famille, de la propriété privée et de l’Etat, [1884]. Consultable sur le site Marxists.org, URL https://www.marxists.org/francais/engels/works/1884/00/fe18840000.htm
2- Association internationale des travailleurs, dite « 1ère internationale »
3 - Loi n° 67-1176 du 28 décembre 1967 relative à la régulation des naissances. En ligne au https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000880754
4 - VERDIER, Pierre, SELLENET, Catherine La nouvelle autorité parentale et les actions de soutien à la parentalité, Berger-Levrault, 2013
5 - http://www.inegalites.fr/spip.php?article245