Centenaire du PC en France
Quand la politique s’invite au débat historique
Par François Ferrette
En 2020, la production éditoriale a été plus marquée que lors des anniversaires précédents et bien des historiens se sont penchés sur cette expérience unique qu’a été l’histoire du parti communiste au XXè siècle et sur son acte fondateur,
le congrès de Tours (25-30 décembre 1920). Un siècle nous sépare désormais d’un événement traumatisant pour les uns et enthousiasmant pour les autres.
Mais le sujet reste toujours chaud voire brûlant.
Ainsi, la revue L’Histoire concentre son analyse sur les 21 conditions, le centralisme et la mainmise de « Moscou », mais de façon complètement anachronique. Sans replacer un événement dans son contexte, il est évidemment impossible
de saisir les motivations de la majorité des socialistes et pourquoi elle s’est ralliée au communisme. Il aurait fallu parler du dilettantisme militant d’avantguerre, de l’électoralisme, de l’indépendance des élus, du nationalisme envahissant les rangs socialistes pendant la guerre… Au lieu de cela, la revue tire à boulets rouge sur les 21 conditions qui seraient le mal incarné, cette machine à broyer les opinions personnelles. Le débat est mené sur un terrain particulier, celui de l’organisation, contre la centralisation des luttes et la soi-disant oppression contre la pensée. Le moi individualiste est à son comble dans les colonnes de la revue L’Histoire. Concentrant la charge contre les nouvelles formes organisationnelles, on en oublie que les 21 conditions (non votées à Tours, par ailleurs) englobaient également la lutte pour l’indépendance des colonies. Le respect des minorités était aussi acquis dans les statuts du jeune parti communiste ce que ne sauront jamais les lecteurs de la revue. Pourquoi cette revue n’a-t-elle pas pris soin de peser le pour et le contre, de contextualiser le congrès de Tours ?
Le musée de l’Histoire vivante publie un très bel ouvrage, richement illustré (Aux alentours du Congrès de Tours 1914-1924). On peut admirer de très nombreuses reproductions du Bulletin communiste (organe de la tendance procommuniste), du tract du Comité de la IIIè Internationale présentant la future motion majoritaire de Tours. Il contient un article où Loriot (un des principaux fondateurs du PC) joue « un rôle majeur » au congrès de Tours tandis qu’un
autre explique que Léon Blum « avait raison ». Un article hors sujet (l’ouvrage est censé évoquer la période 1914-1924) aborde le projet de fusion du PC et du PS proposé par le PCF en 1944-46.
Dans d’autres ouvrages, l’accent sera mis davantage sur l’aspect « scission » quand d’autres y verront avant tout un acte fondateur du PCF. Pour les partisans de l’effet avant tout « scission » de Tours, la figure de Blum s’impose, incarnation
de l’unité durant le congrès. Il est assez piquant de constater que des historiens ne discutent pas de la thématique de l’unité qui est toute de circonstance et polémique. Il aurait fallu préciser que Blum est en contradiction avec lui-même (ce que relèvent des intervenants durant le congrès de Tours et dans la presse de l’époque), lui qui fit partie du courant qui suspendit la représentation proportionnelle des différentes tendances dans les instances du Parti pendant la guerre, qui interdit l’expression de la minorité pacifiste dans les colonnes de l’Humanité et que les plus extrémistes, souhaitaient ouvertement l’exclusion des pacifistes. A quel moment, où, dans quel cadre, Blum s’élève-t-il contre cette oppression des minorités pacifistes pendant la guerre ? Après 1920, Blum n’est toujours pas en odeur de sainteté chez les socialistes et il faudra attendre 1934 pour que son discours au congrès de Tours soit reproduit par le PS : il n’était jusque-là pas de bon ton de mettre en avant un socialiste de guerre. La valorisation d’un dirigeant indique assez clairement des tournants politiques et donc un alignement sur ses positions, si tant est qu’il n’ait pas changé d’opinion. Mais on parle là d’un dirigeant de premier plan qui ne veut pas renier son passé et qui conserve une homogénéité politique dans la durée.
En même temps qu’il remet Blum au premier plan, le PS justifie de façon feutrée la participation au gouvernement de 1914. C’est d’ailleurs autour de cette question que se cristallisent finalement les positions. Romain Ducoulombier, dans la
revue l’OURS, n’hésite pas à soutenir les responsables socialistes pendant la Première guerre mondiale et se moque d’une « trahison supposée des socialistes en 1914 ». On découvre là un soutien aux arguments en faveur d’un engagement socialiste dans la guerre.
Julian Mischi, qui a publié aussi un ouvrage sur les cent ans d’histoire du PCF, a fait l’objet d’une critique acerbe par Romain Ducoulombier qui lui reproche son appréciation de l’État-providence comme une manière d’éviter la révolution. Mischi ajoute que la fin de l’URSS en 1991 fut défavorable aux classes populaires. Mischi écrit, lui, de façon assez équilibré, sans verser pas dans l’anticommunisme facile ni en apologiste béat d’un communisme qu’il regretterait. Visiblement, Mischi a de l’appétence pour les couches dominées et exploitées. Notons encore la difficulté à évoquer certains aspects de l’activité militante des années de guerre et d’après guerre, fortement marquées par des conflits de tendances. Les militants de l’époque l’ont souvent noté et c’est un marqueur politique particulier de cette période 1914-1920. Mais les historiens connaissent encore assez mal les tendances, leur implantation. La place des premiers communistes regroupés dans le Comité de la IIIè Internationale reste encore relativement fragile dans l’appréciation des événements de l’année 1920. Ainsi, cette tendance n’aurait eu aucun député dans ses rangs (Mischi), alors que quatre députés figuraient bel et bien au registre des adhérents : Morucci, Vaillant-Couturier, A. Blanc, G. Lévy. Vaillant-Couturier aurait agi essentiellement en région parisienne (Vigreux) alors qu’il fit une campagne nationale dans le Nord, l’Ariège, l’Aube, la Dordogne, l’Hérault, les Pyrénées-Orientales… et dès le début de l’année 1920. Si l’on ne peut plus considérer cette tendance comme un groupuscule sans lien avec les événements, sa place au congrès de Tours est souvent relativisée. C’est plutôt le match nul qui est mis en avant, les deux courants (Comité de la IIIè et courant Cachin-Frossard) agissant à niveau égal. L’absence
de Loriot et Souvarine, emprisonnés depuis mai 1920, suffirait presque à démontrer que le Comité est absent à Tours. Pourtant, là encore, une étude manque sur la composition politique du congrès. Ce qu’on peut dire provisoirement est, qu’au moins, soixante membres du Comité sont présents (20 % des délégués) et que 40 % des interventions sont de leur fait, le reste étant réparti entre centristes de gauche (fraction Cachin-Frossard), centristes de droite et l’aile droite. Les délégués du Comité de la IIIè sont d’ailleurs porteurs de mandats des plus puissantes fédérations : Bouches-du-Rhône, Nord, Pas-de-Calais, Rhône, Seine, Seine et Oise ainsi que de fédérations plus secondaires. Martelli a contribué à un livre (le Parti rouge) qui ne tient pas du tout compte des recherches historiques les plus récentes. L’aile gauche de la SFIO est qualifiée « d’ultragauche », ce qui est un contresens total car ce courant était incarné par Péricat et son petit « parti communiste ». Le Comité de la IIIè Internationale refuse la ligne sectaire, celle de l’ultragauche, et défend une ligne de masse en accompagnant l’évolution des milieux socialistes. Encore plus étonnante est l’insertion d’un paragraphe entier issu d’un livre de Martelli datant de... 1984 qui débute ainsi : « le ralliement de ces deux dirigeants [Cachin et Frossard]
fait plus pour l’adhésion que le patient travail des premiers partisans d’Octobre ». Il y a une prise de position de l’historien en faveur du courant centre-gauche. Enfin, parmi les biographies en annexes, si celles de Monatte et Souvarine sont bien présentes, il manque celle de Fernand Loriot. Dernière remarque : personne ne s’intéresse aux arguments de l’époque sur le besoin de créer une Internationale pour coordonner l’action face à un capitalisme mondialisé. Cette nécessité éminemment d’actualité, hier et aujourd’hui, ne semble pas avoir effleuré le débat sur le centenaire.
Références :
Le parti rouge, Roger Martelli, Serge Wolikow, Jean Vigreux, éditions Armand Colin, 2020
Le parti des communistes, Julian Mischi, éditions Hors d’atteinte, 2020
1920 ou la scission, l’année du congrès de la Tours, Jean-François Claudon, éditions de Matignon
PCF Cent ans d’histoire, numéro double (14/15) de la revue Cause Commune
Aux alentours du Congrès de Tours 1914-1924, scission du socialisme et fondation du Parti communiste, Véronique Fau-Vincenti, Frédérick Genevée et Éric Lafon (dir.), Musée de l’histoire vivante, août 2020
L’Histoire, mensuel n°478, décembre 2020
L’Humanité, hors-série, décembre 2020
L’OURS, le mensuel, n°503, décembre 2020
Le Monde diplomatique, n°801, décembre 2020
En 2020, la production éditoriale a été plus marquée que lors des anniversaires précédents et bien des historiens se sont penchés sur cette expérience unique qu’a été l’histoire du parti communiste au XXè siècle et sur son acte fondateur,
le congrès de Tours (25-30 décembre 1920). Un siècle nous sépare désormais d’un événement traumatisant pour les uns et enthousiasmant pour les autres.
Mais le sujet reste toujours chaud voire brûlant.
Ainsi, la revue L’Histoire concentre son analyse sur les 21 conditions, le centralisme et la mainmise de « Moscou », mais de façon complètement anachronique. Sans replacer un événement dans son contexte, il est évidemment impossible
de saisir les motivations de la majorité des socialistes et pourquoi elle s’est ralliée au communisme. Il aurait fallu parler du dilettantisme militant d’avantguerre, de l’électoralisme, de l’indépendance des élus, du nationalisme envahissant les rangs socialistes pendant la guerre… Au lieu de cela, la revue tire à boulets rouge sur les 21 conditions qui seraient le mal incarné, cette machine à broyer les opinions personnelles. Le débat est mené sur un terrain particulier, celui de l’organisation, contre la centralisation des luttes et la soi-disant oppression contre la pensée. Le moi individualiste est à son comble dans les colonnes de la revue L’Histoire. Concentrant la charge contre les nouvelles formes organisationnelles, on en oublie que les 21 conditions (non votées à Tours, par ailleurs) englobaient également la lutte pour l’indépendance des colonies. Le respect des minorités était aussi acquis dans les statuts du jeune parti communiste ce que ne sauront jamais les lecteurs de la revue. Pourquoi cette revue n’a-t-elle pas pris soin de peser le pour et le contre, de contextualiser le congrès de Tours ?
Le musée de l’Histoire vivante publie un très bel ouvrage, richement illustré (Aux alentours du Congrès de Tours 1914-1924). On peut admirer de très nombreuses reproductions du Bulletin communiste (organe de la tendance procommuniste), du tract du Comité de la IIIè Internationale présentant la future motion majoritaire de Tours. Il contient un article où Loriot (un des principaux fondateurs du PC) joue « un rôle majeur » au congrès de Tours tandis qu’un
autre explique que Léon Blum « avait raison ». Un article hors sujet (l’ouvrage est censé évoquer la période 1914-1924) aborde le projet de fusion du PC et du PS proposé par le PCF en 1944-46.
Dans d’autres ouvrages, l’accent sera mis davantage sur l’aspect « scission » quand d’autres y verront avant tout un acte fondateur du PCF. Pour les partisans de l’effet avant tout « scission » de Tours, la figure de Blum s’impose, incarnation
de l’unité durant le congrès. Il est assez piquant de constater que des historiens ne discutent pas de la thématique de l’unité qui est toute de circonstance et polémique. Il aurait fallu préciser que Blum est en contradiction avec lui-même (ce que relèvent des intervenants durant le congrès de Tours et dans la presse de l’époque), lui qui fit partie du courant qui suspendit la représentation proportionnelle des différentes tendances dans les instances du Parti pendant la guerre, qui interdit l’expression de la minorité pacifiste dans les colonnes de l’Humanité et que les plus extrémistes, souhaitaient ouvertement l’exclusion des pacifistes. A quel moment, où, dans quel cadre, Blum s’élève-t-il contre cette oppression des minorités pacifistes pendant la guerre ? Après 1920, Blum n’est toujours pas en odeur de sainteté chez les socialistes et il faudra attendre 1934 pour que son discours au congrès de Tours soit reproduit par le PS : il n’était jusque-là pas de bon ton de mettre en avant un socialiste de guerre. La valorisation d’un dirigeant indique assez clairement des tournants politiques et donc un alignement sur ses positions, si tant est qu’il n’ait pas changé d’opinion. Mais on parle là d’un dirigeant de premier plan qui ne veut pas renier son passé et qui conserve une homogénéité politique dans la durée.
En même temps qu’il remet Blum au premier plan, le PS justifie de façon feutrée la participation au gouvernement de 1914. C’est d’ailleurs autour de cette question que se cristallisent finalement les positions. Romain Ducoulombier, dans la
revue l’OURS, n’hésite pas à soutenir les responsables socialistes pendant la Première guerre mondiale et se moque d’une « trahison supposée des socialistes en 1914 ». On découvre là un soutien aux arguments en faveur d’un engagement socialiste dans la guerre.
Julian Mischi, qui a publié aussi un ouvrage sur les cent ans d’histoire du PCF, a fait l’objet d’une critique acerbe par Romain Ducoulombier qui lui reproche son appréciation de l’État-providence comme une manière d’éviter la révolution. Mischi ajoute que la fin de l’URSS en 1991 fut défavorable aux classes populaires. Mischi écrit, lui, de façon assez équilibré, sans verser pas dans l’anticommunisme facile ni en apologiste béat d’un communisme qu’il regretterait. Visiblement, Mischi a de l’appétence pour les couches dominées et exploitées. Notons encore la difficulté à évoquer certains aspects de l’activité militante des années de guerre et d’après guerre, fortement marquées par des conflits de tendances. Les militants de l’époque l’ont souvent noté et c’est un marqueur politique particulier de cette période 1914-1920. Mais les historiens connaissent encore assez mal les tendances, leur implantation. La place des premiers communistes regroupés dans le Comité de la IIIè Internationale reste encore relativement fragile dans l’appréciation des événements de l’année 1920. Ainsi, cette tendance n’aurait eu aucun député dans ses rangs (Mischi), alors que quatre députés figuraient bel et bien au registre des adhérents : Morucci, Vaillant-Couturier, A. Blanc, G. Lévy. Vaillant-Couturier aurait agi essentiellement en région parisienne (Vigreux) alors qu’il fit une campagne nationale dans le Nord, l’Ariège, l’Aube, la Dordogne, l’Hérault, les Pyrénées-Orientales… et dès le début de l’année 1920. Si l’on ne peut plus considérer cette tendance comme un groupuscule sans lien avec les événements, sa place au congrès de Tours est souvent relativisée. C’est plutôt le match nul qui est mis en avant, les deux courants (Comité de la IIIè et courant Cachin-Frossard) agissant à niveau égal. L’absence
de Loriot et Souvarine, emprisonnés depuis mai 1920, suffirait presque à démontrer que le Comité est absent à Tours. Pourtant, là encore, une étude manque sur la composition politique du congrès. Ce qu’on peut dire provisoirement est, qu’au moins, soixante membres du Comité sont présents (20 % des délégués) et que 40 % des interventions sont de leur fait, le reste étant réparti entre centristes de gauche (fraction Cachin-Frossard), centristes de droite et l’aile droite. Les délégués du Comité de la IIIè sont d’ailleurs porteurs de mandats des plus puissantes fédérations : Bouches-du-Rhône, Nord, Pas-de-Calais, Rhône, Seine, Seine et Oise ainsi que de fédérations plus secondaires. Martelli a contribué à un livre (le Parti rouge) qui ne tient pas du tout compte des recherches historiques les plus récentes. L’aile gauche de la SFIO est qualifiée « d’ultragauche », ce qui est un contresens total car ce courant était incarné par Péricat et son petit « parti communiste ». Le Comité de la IIIè Internationale refuse la ligne sectaire, celle de l’ultragauche, et défend une ligne de masse en accompagnant l’évolution des milieux socialistes. Encore plus étonnante est l’insertion d’un paragraphe entier issu d’un livre de Martelli datant de... 1984 qui débute ainsi : « le ralliement de ces deux dirigeants [Cachin et Frossard]
fait plus pour l’adhésion que le patient travail des premiers partisans d’Octobre ». Il y a une prise de position de l’historien en faveur du courant centre-gauche. Enfin, parmi les biographies en annexes, si celles de Monatte et Souvarine sont bien présentes, il manque celle de Fernand Loriot. Dernière remarque : personne ne s’intéresse aux arguments de l’époque sur le besoin de créer une Internationale pour coordonner l’action face à un capitalisme mondialisé. Cette nécessité éminemment d’actualité, hier et aujourd’hui, ne semble pas avoir effleuré le débat sur le centenaire.
Références :
Le parti rouge, Roger Martelli, Serge Wolikow, Jean Vigreux, éditions Armand Colin, 2020
Le parti des communistes, Julian Mischi, éditions Hors d’atteinte, 2020
1920 ou la scission, l’année du congrès de la Tours, Jean-François Claudon, éditions de Matignon
PCF Cent ans d’histoire, numéro double (14/15) de la revue Cause Commune
Aux alentours du Congrès de Tours 1914-1924, scission du socialisme et fondation du Parti communiste, Véronique Fau-Vincenti, Frédérick Genevée et Éric Lafon (dir.), Musée de l’histoire vivante, août 2020
L’Histoire, mensuel n°478, décembre 2020
L’Humanité, hors-série, décembre 2020
L’OURS, le mensuel, n°503, décembre 2020
Le Monde diplomatique, n°801, décembre 2020