Organisme Paritaire Collecteur Agréé : l’argent de la formation
Fin des OPCA, crépuscule du paritarisme Une brève histoire des OPCA en six lois structurant la formation continue
Pour raconter une petite histoire des OPCA et de la formation professionnelle, on distinguera la formation initiale de la formation continue. La première concerne l’éducation et la formation des jeunes jusqu’à la recherche de leur premier emploi et nous la laisserons de côté, ainsi que l’apprentissage qui reste à part, la deuxième concerne les personnes en emploi, ou privées temporairement d’emploi, et c’est de celle-ci que nous parlerons. Le monde de la formation continue est touffu, en perpétuel évolution, et n’est souvent compréhensible que par les professionnels du secteur. On l’accuse d’ailleurs d’opacité. Il faudra excuser les omissions et simplifications qui n’ont pour seul but que de rendre le propos accessible.
Loi de 1971 portant sur l’organisation de la formation professionnelle : Obligation de dépense et paritarisme dès l’origine
Même si le droit à la formation figure dans le préambule de la constitution de 1946, avant 1971 rien de particulier n’est prévu pour la formation du personnel à part la formation initiale et l’apprentissage. Charge aux entreprises d’apporter à leur personnel les compétences qui lui font défaut : on encourage la promotion sociale par les cours du soir. La formation continue des personnes en emploi ne voit vraiment le jour qu’en 1970 avec l’Accord National Interprofessionnel sur la formation permanente. Soulignons que chaque loi aura succédé à un ANI longuement négocié par les partenaires sociaux et qu’au bout du compte c’est l’Etat qui décide.
Dans un contexte de plein emploi, il s’agit dans la foulée des accords de Grenelle d’offrir à l’ensemble des salariés du secteur privé des perspectives d’évolution professionnelle par une formation dispensée sur le temps de travail avec maintien de salaire dans la mesure où elle correspond aux priorités du secteur. L’Etat demande donc aux organisations patronales et aux cinq confédérations syndicales représentatives des salariés de le décliner branche par branche.
Les partenaires sociaux créent alors des Fonds d’Assurance Formation gérés paritairement. L’argent provient de la contribution des entreprises générée par une obligation de dépense pour la formation des salariés équivalente grosso modo à 1% de la masse salariale. Les FAF s’organisent par secteurs professionnels ou localement par territoire. Voici ce qui pouvait être vu comme un impôt, une charge supplémentaire pour les entreprises, collecté, géré et dépensé par les acteurs concernés. Les décisions de dépenses reposent sur un compromis « démocratique » dans un contexte de tensions sociales post-1968, et ce dispositif peut être vu comme un réel progrès.
De plus, la mutualisation des fonds est au cœur du fonctionnement. Si une entreprise ne dépense pas la totalité de son obligation dans le plan de formation de son personnel, elle le verse au FAF de son secteur professionnel qui, lui, pourra financer des actions de formation pour d’autres entreprises. Le financement d’une formation est lié aux priorités fixées par le conseil d’administration du FAF et non pas au montant de la contribution de l’entreprise. Un gros contributeur ne peut pas exiger d’en « avoir pour son argent ».
Les organisations patronales s’emparent du dispositif et on compte près de 250 structures collectrices auxquelles on peut ajouter les ASFO (Association de formation) qui elles ne sont pas gérées paritairement (pas de représentants des salariés dans les conseils d’administration). Les activités de collecte ne sont pas tenues d’être séparées des activités de dispensateurs de formation. Un organisme peut collecter des fonds pour son centre de formation, sans réelle concurrence dans son secteur (à part peut-être l’AFPA). Il s’agit d’une période où presque tout est permis.
Un marché de la formation voit le jour mais la montée du chômage va amener les pouvoirs publics à s’intéresser de plus près à l’utilisation de ces fonds.
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Loi de 1993 dite loi Giraud : naissance des OPCA
Dès 1991, un Accord National Interprofessionnel est signé par les partenaires sociaux et l’Etat va décliner les termes de cet accord. Cette manière de légiférer permet de mettre en avant la négociation tout en imposant sa feuille de route. Tout le secteur est réorganisé et les FAF deviennent des Organismes Paritaires Collecteurs Agréés. Un seuil de collecte de 100 millions de francs est fixé afin de ramener le nombre d’OPCA à 97. Les activités de collecte et de formation doivent être séparées.
La loi Giraud de 1995 boucle la transformation en fixant deux objectifs principaux aux OPCA :
Gérer paritairement les fonds de la contribution obligatoire
Mettre en œuvre les politiques publiques
Politiques publiques signifie globalement dispositifs destinés aux demandeurs d’emploi.
En France le chômage n’est pas vu comme un manque d’emplois sur le marché du travail, les délocalisations et les fermetures d’usines sont décrits comme une évolution des structures économiques auxquelles il faut s’adapter. Le demandeur d’emploi est un salarié n’ayant pas pu, pas su s’adapter à cette évolution et la formation professionnelle est le remède. Autre avantage de la formation, le demandeur d’emploi devient stagiaire et n’est plus comptabilisé comme chômeur. A ce titre sont créés les contrats en alternance, sorte de contrats d’apprentissage pour jeunes et adultes (contrat d’adaptation, de qualification …) qui seront donc financés par les OPCA.
La contribution des entreprises est aussi mobilisée sur le droit individuel à la formation. Ce droit s’exerce en dehors du plan de formation de l’entreprise, et correspond généralement à un projet de reconversion vers un autre secteur. Il est géré par le/les FONGECIF, administrés paritairement comme les OPCA, ce sont elles qui lui verse le produit de leur collecte.
Rationalisation du dispositif de formation, réorientation vers les publics les plus défavorisés et création d’un droit individuel : les 10 années qui vont suivre verront un secteur où l’Etat reprend la main et l’épanouissement d’un marché de la formation jusqu’en 2004.
Loi de 2004 : la formation tout au long de la vie
Cette loi ne réforme pas le dispositif en profondeur, elle étend les compétences des OPCA et cherche à rationaliser l’accès à la formation. Elle amène surtout l’idée à priori séduisante de pouvoir se former et progresser pendant toute sa carrière. Elle valide surtout le fait que le salarié en passe d’être licencié, ou le chômeur, est lui-même responsable de ses compétences, ou de son manque de compétence. On crée un nouveau « droit » : le Droit Individuel à la Formation, le DIF. Et voici quelques heures, 20 par an, que le salarié pourra utiliser en dehors du plan de formation à un tarif moyen très moyen. Les formations de langues ou de bureautiques entrent dans ce cadre mais les formations nécessitant un plateau technique plus important en sont exclues.
A ceci s’ajoute la Validation des Acquis de l’Expérience : la VAE permettant des dispenses de formation pour l’obtention d’un diplôme (un dispositif qui ne sera utilisé qu’à la marge par les salariés). Elle ouvre aussi la possibilité de prise en charge de formation se déroulant en dehors du temps de travail. On revient au cours du soir 33 ans après la loi de 1971, mais il est vrai que cette possibilité concerne principalement les études supérieures morcelées dans le temps.
Plus concrètement par rapport aux attributions des OPCA, la loi les incite à la définition des politiques de branches et à cerner les besoins futurs en qualification de chaque secteur professionnel via des observatoires. Le rôle de conseil et d’accompagnement des entreprises dans l’élaboration de leur plan de formation par les « conseillers » déployés sur tout le territoire par les délégations régionales des OPCA est reconnu et encouragé. Cette loi consacre les OPCA dans leur rôle d’ingénierie, bien au-delà de leur fonction première (collecte et redistribution). Il est vrai que le chômage baisse significativement, que l’Etat conserve une vision républicaine faisant appel aux partenaires sociaux et que l’on peut parler d’un âge d’or. Mais le ver est dans le fruit : le DIF qui est promis à un bel avenir et la décentralisation qui sanctifie le Conseil Régional comme opérateur incontournable (suite de la décentralisation transférant la charge de l’Etat vers les collectivités territoriales).
Changement de style et changement d’époque, à peine cinq années plus tard une nouvelle loi se propose une nouvelle fois de rationaliser et réorienter la formation vers les publics qui en ont le plus besoin, avec en toile de fond la volonté de l’Etat de mieux contrôler tout cet argent
Loi de 2009 : l'orientation et la formation tout au long de la vie
Une nouvelle fois le constat que l’accès la formation professionnelle est très inégalitaire et que la mutualisation entre OPCA ne fonctionne pas, est à l’origine la loi de 2009, loi faisant suite à l’ANI du 7 janvier 2009. On se propose de réorienter les fonds collectés vers les salariés les moins qualifiés, les précaires et les chômeurs. Ce sont en effet majoritairement les cadres et agent de maîtrise des grandes entreprises qui bénéficient des plans de formation.
Pour une petite entreprise le remplacement d’un salarié pendant sa formation est un véritable casse-tête en dépit des aides mises en place. C’est pourquoi les grandes entreprises reçoivent plus d’argent qu’elles ne cotisent, à l’inverse des petites entreprises qui contribuent plus qu’elles ne reçoivent. Le principe de mutualisation à l’origine des OPCA ne semble pas fonctionner si on suit ce raisonnement.
Est donc instauré le Fond Paritaire de Sécurisation des Parcours professionnels : le FPSPP. Ce fond remplace le Fond Unitaire de Péréquation, le FUP, géré assez librement par les partenaires sociaux. De plus il est abondé par un pourcentage de la collecte (pas d’augmentation de la contribution des entreprises). Il n’a de paritaire que le nom car dans les faits il est le bras armé de l’Etat. Il est mobilisable pour les actions de formation pour demandeur d’emploi, notamment par la mise en place de la Préparation Opérationnelle à l’Emploi (POE) avec Pôle Emploi.
Le DIF continue sa percée en devenant « portable » de l’ancien employeur vers … le chômage, pas encore le nouvel employeur.
La fin de la récréation est sifflée : les 97 OPCA doivent se regrouper pour finir à 20. Il s’agit de limiter les structures pour faire des économies d’échelle, et aussi de limiter le nombre d’interlocuteurs pour mieux contrôler les fonds.
Cette loi qui se propose d’apporter plus de justice sociale cache en son sein une restructuration du monde des OPCA. Cinq années plus tard, le gouvernement socialiste s’intéresse à nouveau à la formation continue, mais là le coup sera plus rude.
Loi de 2014
la formation, l’emploi et la démocratie sociale
Dans un scénario bien huilé, est conclu un ANI signé par les 4 organisations syndicales (sans la CGT) et le MEDEF et l’UPA (sans la CGPME). Son but est de réformer une nouvelle fois la formation continue On s’appuie sur la notion de Responsabilité Sociale de l’Entreprise (la RSE), une sorte de « social washing », on demande à l’entreprise de s’auto-évaluer. La formation du personnel ne doit pas être vue comme une dépense, une charge, mais comme un investissement dans l’avenir : la société du futur est une société de compétences.
Partant des constats précédents, la loi supprime l’obligation de dépense créée en 1971. On remplace l’obligation fiscale par l’obligation sociale des entreprises. La contribution des entreprises passe de 1,4% à 1% (baisse des charges) – le 0,9% dévolu aux plans de formation disparaît tout bonnement – le 0,5% consacré au financement des contrats en alternance et DIF/CPF passe lui à 1%.En clair on ne contrôle pas la dépense mais on incite les entreprises à se préoccuper de la formation des salariés. Comment vérifier que les entreprises vont bien le faire ? L’inspection du travail (en sous-effectif) ? les prud’hommes en cas de licenciement (il sera trop tard) ?
Auparavant le conseiller formation de l’OPCA conseillait l’entreprise dans l’élaboration du plan de formation. Les liens sont très étroits car on parle d’argent (l’OPCA finance) – ce lien est rompu même si l’OPCA peut conseiller gratuitement, l’entreprise fera moins appel à lui.
Pour se donner bonne conscience, la loi prévoit un dispositif institutionnel qui a peu de chance d’être respecté dans les petites et moyennes entreprises. Concrètement tous les deux ans, chaque employeur doit réaliser un entretien professionnel avec chacun de ses salariés. Il doit faire le point sur son parcours professionnel et envisager les actions de formation nécessaires à la sécurisation de sa carrière. Cet entretien s’ajoute à l’entretien annuel d’évaluation.
Sinon le DIF est remplacé par le Compte Personnel de Formation plafonné à 150 heures et cette fois il est portable d’un employeur à l’autre. Evidemment il existe d’importantes différences de tarif de l’heure de formation, mais jusqu’ici les OCPA sont là pour mettre la main à la poche en cas de dépassement. Les heures sont donc déjà condamnées à disparaître.
Si le rôle et la place des OPCA dans l’ensemble des dispositifs ne semblent pas remis en cause, le plan de formation se trouve défiscalisé et les OPCA perdent leur raison d’être première : la mutualisation des plans de formation. Le 1% restant de contribution obligatoire est consacré aux politiques publiques. La messe est dite et il fallait un gouvernement socialiste pour la dire.
La loi travail de 2016 ne modifie qu’à la marge le CPF en créant le Compte Personnel d’Activité, le CPA qui comprend à la fois le CPF et le compte pénibilité.
La loi 2018 pour la libert de choisir son avenir professionnel
L’intitulé de cette loi claque comme un véritable slogan dans un contexte de chômage de masse. Elle part des mêmes constats (inégalités ouvriers cadres, TPE grandes entreprises, opacité…) pour affirmer que la compétence est au cœur du dispositif, qu’elle est la meilleure protection contre le chômage. A l’investissement dans la compétence des entreprises répond la « liberté » du salarié d’acquérir plus de compétences, entreprises et salariés jouent gagnant-gagnant.
Comme à chaque fois, cette loi fait suite à un ANI négocié pendant 6 mois. Opposés à la monétisation des heures de formation, les partenaires se voient imposer la monétisation du CPF, histoire de bien comprendre qui décide.
Plus d’intermédiaires, le salarié pourra acheter sa formation grâce à un crédit de 500€ par année d’ancienneté plafonné à 5000€ via une appli sur laquelle il trouvera les organismes de formation accrédités par le ministère, ainsi que les commentaires des anciens stagiaires … un « trip-advisor » dans la jungle de la formation.
Le CIF disparaît et doit se retrouver dans un CPF plus long à vocation de reconversion, quid du FONGECIF ?
Côté OPCA, on leur retire la collecte qui sera confiée aux Urssaf (la collecte est gérée par la Caisse des dépôts et consignations ). De 20 leur nombre doit passer à 10. Et d’ailleurs ils disparaissent car ils sont remplacés par des OPCO : OPérateur de COmpétence.
On demande aux OPCO de poursuivre leur soutien aux contrats de professionnalisation, on leur ajoute l’apprentissage (précédemment géré par les chambres consulaires – chambres des métiers et Chambres de commerce et d’industrie – amenées à disparaître également). Leurs fonctions d’ingénierie et de prospective sont maintenues, ainsi que le conseil aux entreprises, notamment les plus petites.
Les OPCO représenteront non plus des branches professionnelles mais des filières. Un bidule est créé pour chapoter cet ensemble : France Compétence.
L’ensemble de ces disposition se met en place actuellement, voilà tout ce que l’on peut dire. Fin des OPCA. Quel avenir pour les 6000 salariés des OPCA ? La part du personnel chargé de la collecte est toutefois modeste, mais c’est celle condamnée à disparaître.
En conclusion
Le paritarisme, un corps intermédiaire à contourner
Le paritarisme fait son apparition en 1958 avec l’UNEDIC, C’est le mode de gestion choisi pour gérer et développer la formation continue en France ce qui semble judicieux car qui connait mieux les besoins en formation professionnelle que les salariés et les employeurs d’un secteur économique ? Les syndicats demandant des montées en compétence afin d’améliorer les revenus et sécuriser les parcours de leurs salariés-adhérents, les employeurs aspirant à un personnel plus autonome, plus qualifié et formé aux évolutions probables que connaîtra leur secteur d’activité.
Dans un Etat au fonctionnement jugé trop vertical, la gestion paritaire apparait plus démocratique, en tout cas plus près des besoins du terrain. La négociation étant un point central, on peut parler d’une gestion préventive des conflits sociaux. De plus il est légitime que les contributeurs, les entreprises, et les bénéficiaires, les salariés, soient coresponsables de la gestion de cet argent.
Bien sûr le paritarisme n’est pas exempt de critique et connaît des limites dans son fonctionnement. Un accord peut s’appliquer même si un syndicat refuse (CGT) et il se trouve toujours d’autres syndicats pour signer (CFDT et CFTC). Les règles de représentativité donnent le même poids à un syndicat quel que soit le nombre d’adhérents qu’il a dans le secteur.
Ce problème de représentativité se pose également pour les organisations patronales dominées par le MEDEF qui n’est pas à l’image de la diversité des employeurs français (la majorité ne se sentant pas représenté par l’ex-CNPF). La présence de syndicats aux négociations n’est pas une garantie de défense des salariés. Cependant le MEDEF était partie prenante et le faisait vivre par une myriade d’organisations patronales, apparemment ce n’est plus le cas. MEDEF et Etat ne sont plus intéressés.
Le paritarisme dans la formation se retrouve donc à gérer une coquille vide car quasiment privé de moyens financiers, ne subsiste qu’un rôle d’étude et de conseil, et de gestion des demandes de prises en charge des contrats de professionnalisation et d'apprentissage ainsi que les fonds dédiés aux entreprises TPE…
La gestion paritaire existe encore dans les organismes sociaux tel l’assurance maladie ou la retraite, ainsi que l’assurance chômage, mais pour combien de temps ? car chacun de ces secteurs est visé par une prochaine réforme …
La formation continue sur le fond
Les aspirations de promotions sociales des salariés, la volonté de gérer préventivement l’évolution des compétences et des qualifications, ne se sont-elles pas retrouvées rapidement en porte à faux avec la libéralisation de l’économie et des entreprises ?
Si on considère qu’une entreprise va plus chercher à se débarrasser d’une main d’œuvre inadaptée plutôt qu’à parier sur une éventuelle élévation des compétences par la formation, on comprend mieux le détricotage opéré par les différentes lois (surtout depuis 2000). Quel intérêt aurait une entreprise à former pour mieux rémunérer son personnel, et de surcroît le garder en emploi, alors qu’il suffit de fermer une usine (faire payer le reclassement des futurs chômeurs par l’Etat) et rouvrir un centre de production ailleurs avec du personnel qualifié moitié moins payé ?
L’obligation de dépense n’a jamais été en mesure d’inverser cette tendance.
Le prétexte du chômage et les incantations sur les secteurs en pénurie de main d’œuvre (sous-entendue qualifiée) sont des postures idéologiques du patronat cherchant à culpabiliser le salarié. Si la qualification du personnel est stratégique pour une entreprise, elle saura trouver les moyens de former son personnel et d’inclure ce coût dans le prix de revient de ses produits.
Pour raconter une petite histoire des OPCA et de la formation professionnelle, on distinguera la formation initiale de la formation continue. La première concerne l’éducation et la formation des jeunes jusqu’à la recherche de leur premier emploi et nous la laisserons de côté, ainsi que l’apprentissage qui reste à part, la deuxième concerne les personnes en emploi, ou privées temporairement d’emploi, et c’est de celle-ci que nous parlerons. Le monde de la formation continue est touffu, en perpétuel évolution, et n’est souvent compréhensible que par les professionnels du secteur. On l’accuse d’ailleurs d’opacité. Il faudra excuser les omissions et simplifications qui n’ont pour seul but que de rendre le propos accessible.
Loi de 1971 portant sur l’organisation de la formation professionnelle : Obligation de dépense et paritarisme dès l’origine
Même si le droit à la formation figure dans le préambule de la constitution de 1946, avant 1971 rien de particulier n’est prévu pour la formation du personnel à part la formation initiale et l’apprentissage. Charge aux entreprises d’apporter à leur personnel les compétences qui lui font défaut : on encourage la promotion sociale par les cours du soir. La formation continue des personnes en emploi ne voit vraiment le jour qu’en 1970 avec l’Accord National Interprofessionnel sur la formation permanente. Soulignons que chaque loi aura succédé à un ANI longuement négocié par les partenaires sociaux et qu’au bout du compte c’est l’Etat qui décide.
Dans un contexte de plein emploi, il s’agit dans la foulée des accords de Grenelle d’offrir à l’ensemble des salariés du secteur privé des perspectives d’évolution professionnelle par une formation dispensée sur le temps de travail avec maintien de salaire dans la mesure où elle correspond aux priorités du secteur. L’Etat demande donc aux organisations patronales et aux cinq confédérations syndicales représentatives des salariés de le décliner branche par branche.
Les partenaires sociaux créent alors des Fonds d’Assurance Formation gérés paritairement. L’argent provient de la contribution des entreprises générée par une obligation de dépense pour la formation des salariés équivalente grosso modo à 1% de la masse salariale. Les FAF s’organisent par secteurs professionnels ou localement par territoire. Voici ce qui pouvait être vu comme un impôt, une charge supplémentaire pour les entreprises, collecté, géré et dépensé par les acteurs concernés. Les décisions de dépenses reposent sur un compromis « démocratique » dans un contexte de tensions sociales post-1968, et ce dispositif peut être vu comme un réel progrès.
De plus, la mutualisation des fonds est au cœur du fonctionnement. Si une entreprise ne dépense pas la totalité de son obligation dans le plan de formation de son personnel, elle le verse au FAF de son secteur professionnel qui, lui, pourra financer des actions de formation pour d’autres entreprises. Le financement d’une formation est lié aux priorités fixées par le conseil d’administration du FAF et non pas au montant de la contribution de l’entreprise. Un gros contributeur ne peut pas exiger d’en « avoir pour son argent ».
Les organisations patronales s’emparent du dispositif et on compte près de 250 structures collectrices auxquelles on peut ajouter les ASFO (Association de formation) qui elles ne sont pas gérées paritairement (pas de représentants des salariés dans les conseils d’administration). Les activités de collecte ne sont pas tenues d’être séparées des activités de dispensateurs de formation. Un organisme peut collecter des fonds pour son centre de formation, sans réelle concurrence dans son secteur (à part peut-être l’AFPA). Il s’agit d’une période où presque tout est permis.
Un marché de la formation voit le jour mais la montée du chômage va amener les pouvoirs publics à s’intéresser de plus près à l’utilisation de ces fonds.
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Loi de 1993 dite loi Giraud : naissance des OPCA
Dès 1991, un Accord National Interprofessionnel est signé par les partenaires sociaux et l’Etat va décliner les termes de cet accord. Cette manière de légiférer permet de mettre en avant la négociation tout en imposant sa feuille de route. Tout le secteur est réorganisé et les FAF deviennent des Organismes Paritaires Collecteurs Agréés. Un seuil de collecte de 100 millions de francs est fixé afin de ramener le nombre d’OPCA à 97. Les activités de collecte et de formation doivent être séparées.
La loi Giraud de 1995 boucle la transformation en fixant deux objectifs principaux aux OPCA :
Gérer paritairement les fonds de la contribution obligatoire
Mettre en œuvre les politiques publiques
Politiques publiques signifie globalement dispositifs destinés aux demandeurs d’emploi.
En France le chômage n’est pas vu comme un manque d’emplois sur le marché du travail, les délocalisations et les fermetures d’usines sont décrits comme une évolution des structures économiques auxquelles il faut s’adapter. Le demandeur d’emploi est un salarié n’ayant pas pu, pas su s’adapter à cette évolution et la formation professionnelle est le remède. Autre avantage de la formation, le demandeur d’emploi devient stagiaire et n’est plus comptabilisé comme chômeur. A ce titre sont créés les contrats en alternance, sorte de contrats d’apprentissage pour jeunes et adultes (contrat d’adaptation, de qualification …) qui seront donc financés par les OPCA.
La contribution des entreprises est aussi mobilisée sur le droit individuel à la formation. Ce droit s’exerce en dehors du plan de formation de l’entreprise, et correspond généralement à un projet de reconversion vers un autre secteur. Il est géré par le/les FONGECIF, administrés paritairement comme les OPCA, ce sont elles qui lui verse le produit de leur collecte.
Rationalisation du dispositif de formation, réorientation vers les publics les plus défavorisés et création d’un droit individuel : les 10 années qui vont suivre verront un secteur où l’Etat reprend la main et l’épanouissement d’un marché de la formation jusqu’en 2004.
Loi de 2004 : la formation tout au long de la vie
Cette loi ne réforme pas le dispositif en profondeur, elle étend les compétences des OPCA et cherche à rationaliser l’accès à la formation. Elle amène surtout l’idée à priori séduisante de pouvoir se former et progresser pendant toute sa carrière. Elle valide surtout le fait que le salarié en passe d’être licencié, ou le chômeur, est lui-même responsable de ses compétences, ou de son manque de compétence. On crée un nouveau « droit » : le Droit Individuel à la Formation, le DIF. Et voici quelques heures, 20 par an, que le salarié pourra utiliser en dehors du plan de formation à un tarif moyen très moyen. Les formations de langues ou de bureautiques entrent dans ce cadre mais les formations nécessitant un plateau technique plus important en sont exclues.
A ceci s’ajoute la Validation des Acquis de l’Expérience : la VAE permettant des dispenses de formation pour l’obtention d’un diplôme (un dispositif qui ne sera utilisé qu’à la marge par les salariés). Elle ouvre aussi la possibilité de prise en charge de formation se déroulant en dehors du temps de travail. On revient au cours du soir 33 ans après la loi de 1971, mais il est vrai que cette possibilité concerne principalement les études supérieures morcelées dans le temps.
Plus concrètement par rapport aux attributions des OPCA, la loi les incite à la définition des politiques de branches et à cerner les besoins futurs en qualification de chaque secteur professionnel via des observatoires. Le rôle de conseil et d’accompagnement des entreprises dans l’élaboration de leur plan de formation par les « conseillers » déployés sur tout le territoire par les délégations régionales des OPCA est reconnu et encouragé. Cette loi consacre les OPCA dans leur rôle d’ingénierie, bien au-delà de leur fonction première (collecte et redistribution). Il est vrai que le chômage baisse significativement, que l’Etat conserve une vision républicaine faisant appel aux partenaires sociaux et que l’on peut parler d’un âge d’or. Mais le ver est dans le fruit : le DIF qui est promis à un bel avenir et la décentralisation qui sanctifie le Conseil Régional comme opérateur incontournable (suite de la décentralisation transférant la charge de l’Etat vers les collectivités territoriales).
Changement de style et changement d’époque, à peine cinq années plus tard une nouvelle loi se propose une nouvelle fois de rationaliser et réorienter la formation vers les publics qui en ont le plus besoin, avec en toile de fond la volonté de l’Etat de mieux contrôler tout cet argent
Loi de 2009 : l'orientation et la formation tout au long de la vie
Une nouvelle fois le constat que l’accès la formation professionnelle est très inégalitaire et que la mutualisation entre OPCA ne fonctionne pas, est à l’origine la loi de 2009, loi faisant suite à l’ANI du 7 janvier 2009. On se propose de réorienter les fonds collectés vers les salariés les moins qualifiés, les précaires et les chômeurs. Ce sont en effet majoritairement les cadres et agent de maîtrise des grandes entreprises qui bénéficient des plans de formation.
Pour une petite entreprise le remplacement d’un salarié pendant sa formation est un véritable casse-tête en dépit des aides mises en place. C’est pourquoi les grandes entreprises reçoivent plus d’argent qu’elles ne cotisent, à l’inverse des petites entreprises qui contribuent plus qu’elles ne reçoivent. Le principe de mutualisation à l’origine des OPCA ne semble pas fonctionner si on suit ce raisonnement.
Est donc instauré le Fond Paritaire de Sécurisation des Parcours professionnels : le FPSPP. Ce fond remplace le Fond Unitaire de Péréquation, le FUP, géré assez librement par les partenaires sociaux. De plus il est abondé par un pourcentage de la collecte (pas d’augmentation de la contribution des entreprises). Il n’a de paritaire que le nom car dans les faits il est le bras armé de l’Etat. Il est mobilisable pour les actions de formation pour demandeur d’emploi, notamment par la mise en place de la Préparation Opérationnelle à l’Emploi (POE) avec Pôle Emploi.
Le DIF continue sa percée en devenant « portable » de l’ancien employeur vers … le chômage, pas encore le nouvel employeur.
La fin de la récréation est sifflée : les 97 OPCA doivent se regrouper pour finir à 20. Il s’agit de limiter les structures pour faire des économies d’échelle, et aussi de limiter le nombre d’interlocuteurs pour mieux contrôler les fonds.
Cette loi qui se propose d’apporter plus de justice sociale cache en son sein une restructuration du monde des OPCA. Cinq années plus tard, le gouvernement socialiste s’intéresse à nouveau à la formation continue, mais là le coup sera plus rude.
Loi de 2014
la formation, l’emploi et la démocratie sociale
Dans un scénario bien huilé, est conclu un ANI signé par les 4 organisations syndicales (sans la CGT) et le MEDEF et l’UPA (sans la CGPME). Son but est de réformer une nouvelle fois la formation continue On s’appuie sur la notion de Responsabilité Sociale de l’Entreprise (la RSE), une sorte de « social washing », on demande à l’entreprise de s’auto-évaluer. La formation du personnel ne doit pas être vue comme une dépense, une charge, mais comme un investissement dans l’avenir : la société du futur est une société de compétences.
Partant des constats précédents, la loi supprime l’obligation de dépense créée en 1971. On remplace l’obligation fiscale par l’obligation sociale des entreprises. La contribution des entreprises passe de 1,4% à 1% (baisse des charges) – le 0,9% dévolu aux plans de formation disparaît tout bonnement – le 0,5% consacré au financement des contrats en alternance et DIF/CPF passe lui à 1%.En clair on ne contrôle pas la dépense mais on incite les entreprises à se préoccuper de la formation des salariés. Comment vérifier que les entreprises vont bien le faire ? L’inspection du travail (en sous-effectif) ? les prud’hommes en cas de licenciement (il sera trop tard) ?
Auparavant le conseiller formation de l’OPCA conseillait l’entreprise dans l’élaboration du plan de formation. Les liens sont très étroits car on parle d’argent (l’OPCA finance) – ce lien est rompu même si l’OPCA peut conseiller gratuitement, l’entreprise fera moins appel à lui.
Pour se donner bonne conscience, la loi prévoit un dispositif institutionnel qui a peu de chance d’être respecté dans les petites et moyennes entreprises. Concrètement tous les deux ans, chaque employeur doit réaliser un entretien professionnel avec chacun de ses salariés. Il doit faire le point sur son parcours professionnel et envisager les actions de formation nécessaires à la sécurisation de sa carrière. Cet entretien s’ajoute à l’entretien annuel d’évaluation.
Sinon le DIF est remplacé par le Compte Personnel de Formation plafonné à 150 heures et cette fois il est portable d’un employeur à l’autre. Evidemment il existe d’importantes différences de tarif de l’heure de formation, mais jusqu’ici les OCPA sont là pour mettre la main à la poche en cas de dépassement. Les heures sont donc déjà condamnées à disparaître.
Si le rôle et la place des OPCA dans l’ensemble des dispositifs ne semblent pas remis en cause, le plan de formation se trouve défiscalisé et les OPCA perdent leur raison d’être première : la mutualisation des plans de formation. Le 1% restant de contribution obligatoire est consacré aux politiques publiques. La messe est dite et il fallait un gouvernement socialiste pour la dire.
La loi travail de 2016 ne modifie qu’à la marge le CPF en créant le Compte Personnel d’Activité, le CPA qui comprend à la fois le CPF et le compte pénibilité.
La loi 2018 pour la libert de choisir son avenir professionnel
L’intitulé de cette loi claque comme un véritable slogan dans un contexte de chômage de masse. Elle part des mêmes constats (inégalités ouvriers cadres, TPE grandes entreprises, opacité…) pour affirmer que la compétence est au cœur du dispositif, qu’elle est la meilleure protection contre le chômage. A l’investissement dans la compétence des entreprises répond la « liberté » du salarié d’acquérir plus de compétences, entreprises et salariés jouent gagnant-gagnant.
Comme à chaque fois, cette loi fait suite à un ANI négocié pendant 6 mois. Opposés à la monétisation des heures de formation, les partenaires se voient imposer la monétisation du CPF, histoire de bien comprendre qui décide.
Plus d’intermédiaires, le salarié pourra acheter sa formation grâce à un crédit de 500€ par année d’ancienneté plafonné à 5000€ via une appli sur laquelle il trouvera les organismes de formation accrédités par le ministère, ainsi que les commentaires des anciens stagiaires … un « trip-advisor » dans la jungle de la formation.
Le CIF disparaît et doit se retrouver dans un CPF plus long à vocation de reconversion, quid du FONGECIF ?
Côté OPCA, on leur retire la collecte qui sera confiée aux Urssaf (la collecte est gérée par la Caisse des dépôts et consignations ). De 20 leur nombre doit passer à 10. Et d’ailleurs ils disparaissent car ils sont remplacés par des OPCO : OPérateur de COmpétence.
On demande aux OPCO de poursuivre leur soutien aux contrats de professionnalisation, on leur ajoute l’apprentissage (précédemment géré par les chambres consulaires – chambres des métiers et Chambres de commerce et d’industrie – amenées à disparaître également). Leurs fonctions d’ingénierie et de prospective sont maintenues, ainsi que le conseil aux entreprises, notamment les plus petites.
Les OPCO représenteront non plus des branches professionnelles mais des filières. Un bidule est créé pour chapoter cet ensemble : France Compétence.
L’ensemble de ces disposition se met en place actuellement, voilà tout ce que l’on peut dire. Fin des OPCA. Quel avenir pour les 6000 salariés des OPCA ? La part du personnel chargé de la collecte est toutefois modeste, mais c’est celle condamnée à disparaître.
En conclusion
Le paritarisme, un corps intermédiaire à contourner
Le paritarisme fait son apparition en 1958 avec l’UNEDIC, C’est le mode de gestion choisi pour gérer et développer la formation continue en France ce qui semble judicieux car qui connait mieux les besoins en formation professionnelle que les salariés et les employeurs d’un secteur économique ? Les syndicats demandant des montées en compétence afin d’améliorer les revenus et sécuriser les parcours de leurs salariés-adhérents, les employeurs aspirant à un personnel plus autonome, plus qualifié et formé aux évolutions probables que connaîtra leur secteur d’activité.
Dans un Etat au fonctionnement jugé trop vertical, la gestion paritaire apparait plus démocratique, en tout cas plus près des besoins du terrain. La négociation étant un point central, on peut parler d’une gestion préventive des conflits sociaux. De plus il est légitime que les contributeurs, les entreprises, et les bénéficiaires, les salariés, soient coresponsables de la gestion de cet argent.
Bien sûr le paritarisme n’est pas exempt de critique et connaît des limites dans son fonctionnement. Un accord peut s’appliquer même si un syndicat refuse (CGT) et il se trouve toujours d’autres syndicats pour signer (CFDT et CFTC). Les règles de représentativité donnent le même poids à un syndicat quel que soit le nombre d’adhérents qu’il a dans le secteur.
Ce problème de représentativité se pose également pour les organisations patronales dominées par le MEDEF qui n’est pas à l’image de la diversité des employeurs français (la majorité ne se sentant pas représenté par l’ex-CNPF). La présence de syndicats aux négociations n’est pas une garantie de défense des salariés. Cependant le MEDEF était partie prenante et le faisait vivre par une myriade d’organisations patronales, apparemment ce n’est plus le cas. MEDEF et Etat ne sont plus intéressés.
Le paritarisme dans la formation se retrouve donc à gérer une coquille vide car quasiment privé de moyens financiers, ne subsiste qu’un rôle d’étude et de conseil, et de gestion des demandes de prises en charge des contrats de professionnalisation et d'apprentissage ainsi que les fonds dédiés aux entreprises TPE…
La gestion paritaire existe encore dans les organismes sociaux tel l’assurance maladie ou la retraite, ainsi que l’assurance chômage, mais pour combien de temps ? car chacun de ces secteurs est visé par une prochaine réforme …
La formation continue sur le fond
Les aspirations de promotions sociales des salariés, la volonté de gérer préventivement l’évolution des compétences et des qualifications, ne se sont-elles pas retrouvées rapidement en porte à faux avec la libéralisation de l’économie et des entreprises ?
Si on considère qu’une entreprise va plus chercher à se débarrasser d’une main d’œuvre inadaptée plutôt qu’à parier sur une éventuelle élévation des compétences par la formation, on comprend mieux le détricotage opéré par les différentes lois (surtout depuis 2000). Quel intérêt aurait une entreprise à former pour mieux rémunérer son personnel, et de surcroît le garder en emploi, alors qu’il suffit de fermer une usine (faire payer le reclassement des futurs chômeurs par l’Etat) et rouvrir un centre de production ailleurs avec du personnel qualifié moitié moins payé ?
L’obligation de dépense n’a jamais été en mesure d’inverser cette tendance.
Le prétexte du chômage et les incantations sur les secteurs en pénurie de main d’œuvre (sous-entendue qualifiée) sont des postures idéologiques du patronat cherchant à culpabiliser le salarié. Si la qualification du personnel est stratégique pour une entreprise, elle saura trouver les moyens de former son personnel et d’inclure ce coût dans le prix de revient de ses produits.